28 juin 2005

l’orage arrive (Porti-Vecchju)

Se faire piquer en rêve le bout du majeur par un frelon, à se réveiller de la nuit courte, à en avoir mal au doigt – larmes de l’autre soir pour Michel Drucker en casquette à Calvi, ces images du Golfe de Porto-Vecchio : mes vacances passées, avec C. - à l’arrêt du 68, instant de panique au matin, c’est que passe une japonaise, elle est en T. shirt jaune « Superman » - dans le bus encore endormi « De l’amour avec des baisers / Qu’envoie le phoque ensommeillé » : Malcolm Lowry – en arrivant devant ton écran par ciel gris, outlook à t’en frotter deux fois les yeux, plus belle des lettres de Vénétie – oui comme sur France Info / ce matin la météo – attendre que l’orage arrive, une chanson d' I Muvrini.

27 juin 2005

aux champignons

Il paraît pourtant que c’est jour de fierté, ça ne je sais pas mais pour moi en tout cas c’est jour d’arrosage : face au D., je téléphone de sous un balcon, heure de l’happy hour, et je reçois sur la tête l’eau d’un géranium, bouts de feuilles mouillées et terreau mêlés, pluie brusque tombée d’un seau, cette eau balancée sur des pots de fleur, à l’étage, comme on secoue la nappe ou on jette un mégot, d’une fenêtre. Cette année encore on n’aura pas participé au marathon, on était trop occupés à faire la queue pour vendre des livres aux frères Gibert, Jeune et Joseph : comme dit l’autre c’est quand même bizarre, Jeune, comme prénom. Boulevard Saint-Michel, malgré tout, on a vu les badauds qui attendaient que toute cette fierté passe, ça m’a rappelé mes vacances enfant en Normandie, quand le cirque arrivait, le monde qui se pressait pour les voir défiler en ville, Serge le lama et tous les autres animaux de la ménagerie.

Encore un peu trempé je prends un deuxième apéro chez O. qui m’a ramené des champignons séchés de son voyage en Italie, il parait que je lui en avais demandé, c’est sur je devais avoir encore trop bu, cette fois là. Toute la soirée je me promène avec mon petit pochon de champignons séchés, et c’est, à travers Paris, ma petite mushroom pride à moi, involontaire et empotée. En passant passage du Prado, R. fait des photos du salon de thé Volonté. On va dîner indien avec R., il y a P. et sa copine venue exprès de ses montagnes, elle est revenue enthousiaste du défilé et puis voilà tout à coup elle demande ça veut dire quoi exactement trans-genres on la sent si tracassée, comme on sait pas quoi lui répondre on en est bien embarrassés : et si on faisait encore une photo, tiens, toi, mets-toi là, pour meubler. Plus tard elle dit oh que c’est bon, elle dit j’ai jamais mangé indien j’aurais jamais imaginé, mais chez Pooja ils se sont mis aux techniques de marketing les plus évoluées, au dessert avant l’addition on doit remplir des questionnaires de satisfaction, on se croirait dans le TGV et même les prix ont augmenté. Plus tard de retour au vestiaire du D., je leur dis vous voulez bien garder mes champignons, ça risque de me gêner un peu, si jamais je bois assez pour danser, et d’ailleurs, vous voyez bien, ça y est, je danse déjà : S. est de bonne humeur et paie sa tournée, je pense oui continuez, continuez au fût à m'offrir des bières, parce que cette nuit elle coule si fraîche. Quand je vais prendre l'air je lève la tête, le ciel est plein des ballons de la terrasse qui se sont envolés, je crois que ça va être l’heure d’y aller.

24 juin 2005

plomb

Sous la chaleur de midi, négocier mes vieux souvenirs avec des disquaires d’occasion transformés en esclavagistes du vinyl, vendre mes trente trois tours avant qu’ils ne fondent tous. Pour les Stinky Toys, pour Warum Joe, pour Starshooter, pour dix-huit d'entre eux à la fois, le crocodile en face de moi me propose de quoi nous acheter quelques rouleaux de PQ et des noix, cinq ou six asperges à peine et un peu de chocolat, aux éclats. La nuit avec C., essayer de faire des courants d’air, se retourner dans le lit quinze fois, en arriver à ne même plus parvenir à se toucher, juste chercher la ventoline, chaque soir, cachée dans les draps. Ce matin avec tous ces degrés déjà, pas loin de mon ancienne faculté de briques et de créneaux, s'arrêter pour regarder les chevaux luisants, l'eau qu'on perd, la sueur sur ma chemise : Luxembourg, fontaine de l’Observatoire.

22 juin 2005

de soldes, de sandales et de sueur

Raz de marée de sandales et de sueur, tsunami de grands brûlés sur les pelouses des jardins, pour la fête de la musique estrades à rastas partout, dans la rue, et le téléphone qui ne sonne jamais à la maison mais il parait que c’est normal, que c’est juste qu’on est vieux. Au fond de l’impasse, d’une voix comme s’élevant d’une salle de réveil post-opératoire, une fille brune du Maine et Loire tente avec trois lycéens un Marley sans aucun sens du rythme, un "Redemption Song" d’après coma qui touche aussi juste qu’elle elle chante faux, et c’est dire, un truc périlleux et magique qui donne envie de re-rater son bac, juste une fois. Jamais vu autant de monde sur nos pentes, sound-systems pour hip-hoppers blancs friqués des Abbesses, relents d’aisselles technoïdes devant des bars à deejays toutes bières dans la rue, mais le plus beau, un raï étincelant, scintillant dans les fumées de merguez au Marché de la Butte, sur la petite place devant la rue Androuet, comme un quatorze juillet déplacé entre l'Alfama et Tanger. En rentrant sur FR3, un chanteur occitan à faire peur devant une salle daxoise si pleine de bérets que l’inquiétude me gagne, et chez nous les étagères qui se vident peu à peu jusqu’à en devenir inutiles, disques et livres qu’on retrouvera chez les marchands d’occasion, parce qu’on en est à vendre tout, C. et moi, un peu chaque jour.

20 juin 2005

confit de dévotion (recette matinale)

Travaux en façade de l’immeuble d’en face, échafaudage écrasé de chaleur au matin : au milieu de maçons confirmés - leur casque culmine à un mètre cinquante au dessus des pieds - voilà que mince mirage brun de longues jambes, peintre en bâtiment insolemment débutant, debout torse nu en équilibre sur la plus haute planche. Bouteille d’eau à la main et rouleau dans l'autre, déhanchement habitué de sa pause de dix heures, et comme on a tout laissé ouvert pour la nuit, de son échafaudage par ma fenêtre il me voit débarquer en slip dans le salon, zombie de mon réveil tardif. Il se marre, je me frotte les paupières en le regardant, le temps de chasser le sommeil, ne pas perdre une miette de cette apparition matutinale, faire profiter mes yeux de ce petit déjeuner improvisé, le seul que je prendrais aujourd’hui vu qu’on a plus rien à bouffer. Des réveils comme ça, et dans le bus, mal remis encore, je relis la note 55 du Pétrole de Pasolini, c’est pages deux cent dix-neuf à deux cent quarante-six, bref évangile de la fellation, manuel (comme) écrit en rêve de serial sucker. Rempli de dévotion tellement qu’à Opéra j’en oublie de descendre, je rattrape le 20 par la place de la Fontaine Gaillon, il fait trop chaud pour continuer à avancer à genoux, en passant rue du Quatre Septembre sortant d’un bar-restaurant une odeur de ratatouille.

18 juin 2005

Victoria

Armée de pigeons au dessus de l’avenue Victoria, en formation serrée, l’été qui suspend le soir, et le soleil est partout, sur la Seine. Dans la rue, tatouages sur les bras nus à rendre nerveux le plus zen des moines rinzaï - ce matin celui-là : Paratus Et Fidelis, aussi martial et fier que le bras qui le porte au dessus du coude et choisit des cartes postales devant chez le marchand de tabac -, air chaud du mois de juin, résidus de mes vertiges, tongues du joli touriste anglais, celui du tatouage. Mon Dieu, cette année au moins, faîtes que notre bonne municipalité nous épargne "Paris-Plage" : puisqu'on n'ira nulle part, qu'on nous laisse seulement quelques bières, les bords du fleuve, l'air qui stagne. Que l'été nous amène des touristes, quelques bras nus, des tatouages.

17 juin 2005

le tronc et les branches

Vestibule de l’oreille, mouvements oculaires, toute cette rééducation, on me rééduque tellement de tous côtés que parfois on se croirait en Chine populaire, oui moi je veux bien, mais alors que cent fleurs s’épanouissent, et que les brocolis du self du boulevard Sébastopol cessent d’avoir cet arrière-goût de moules marinières. Peut-être que moi aussi, je devrais écrire une lettre à Dieu, comme celles que la poste israélienne reçoit par centaines chaque année et dont elle ne sait plus que faire, celles qui ont pour seule adresse « Jérusalem » mais les plus pointilleux mettent quand même « Mur des Lamentations ». Ou bien, simplement si je pouvais partir en vacances. Hier devant un curry chez Y., j’apprends que le président malgache est un grand industriel du yaourt, on parle des cotons de Tulear, ces horribles petits chiens blancs qu’on trouve partout là-bas, et des plages de Madagascar. En regagnant le boulevard on passe devant tous les magasins de perruques, de tresses et de faux ongles de ce coin du 10ème. En fait, j’ai cette envie d’un repos de jardins, de plantes et d’arbres. J’y pense à cause des perruques. Parce que oui, il y a cet arbre que dans d’autres pays ils appellent l’arbre du brouillard ou l’arbre de fumée mais qu’en France, comme on ne fait rien comme tout le monde, on appelle l’arbre à perruques, sans que personne n’ait jamais pris la peine de m’expliquer pourquoi. Et, une fois pour toute, par la pendaison de Judas, qu’on m’explique aussi les roses vifs ou pâles de ce bel arbre de Judée !! Ces rameaux tortueux dans lesquels les catholiques romains ont reconnu l’arbre du mauvais apôtre, de si belles fleurs pour un arbre à pendu, elles lui poussent directement sur le tronc et les branches, on dit même que ce sont les larmes du Christ. Moi j'ai mal aux pieds avec mes ongles trop longs, celui de mon gros orteil rentre dans la chair, en rentrant à la maison ça saigne même un peu.

16 juin 2005

il s'appelle Mario

Le rêve que j'aurais pu faire cette nuit : je me réveille face à mon banquier, il me tend des documents, je les regarde sans comprendre, ce sont des analyses de sang, plus tard des infirmières entrent en chuchotant, elles disent que je suis interdit de découvert. Un rêve qui aurait été de la faute de ma soirée d'hier. Soirée amère à manger des gâteaux au soja, passée sans que j'arrive à digérer l'ail des crevettes sautées, devant une émission littéraire que je ne comprends pas et ma barbe qui est beaucoup trop longue, ce matin je la rase debout dans le couloir et je regarde les poils tomber sur la moquette. A la radio cette nouvelle terrifiante, la veuve Mitterrand contrainte - par la misère, sans doute ? - à mettre aux enchères dans une vulgaire salle des ventes les plus belles bouteilles qui formaient la cave de son célèbre mangeur d'ortolans, déjà qu'elle me faisait peur avant, alors je ne sais pas ce que nous allons devenir, maintenant qu'elle n'a plus rien à boire , peur que ne refleurisse l'attirail flétri des grimaces de sa douloureuse bien-pensance pro-castriste, peur de cette vieille femme qui dit non, entre deux vacances au Chiapas. Il y a des matins comme çà où je donnerais pas cher de notre peau, surtout quand j'ai rendez vous avec mon conseiller clientèle, comme ils appellent ça à la banque, et le mien s'appelle Mario. Pour oublier, pendant que Mario me parle de mon découvert, fermer les yeux, essayer de se concentrer sur cette image entraperçue au vingt heures l'autre jour, ce beau taxi bleu amphibie plein de réfugiés cubains perdus en mer, un taxi Mercury de 1949, cette vieille caisse triste, devenue par hasard une embarcation quatorze places, la plus belle jamais arrivée en vue des côtes de Floride.

14 juin 2005

le harem intérieur

Au moment de souffler les bougies sur le gâteau, éjaculat psychique en forme de petite commémoration, harem mental instantané fait des polaroïds rescapés de mon cerveau en train de fondre, petites balises encore colorées qui dessinent au sol comme à la craie blanche le terrain de jeu improvisé de ma polygamie intérieure : Toss qui fait l'idiot tout nu dans la salle de bain en train de se brosser les dents et de jouer avec ses couilles qui pendent - La Mésange, défoncé au shit, en slip rouge sous sa parka, en train de jouer de la guitare dans sa chambre de bonne assis sur son petit ampli d'appartement - Le Prince des Asturies, monté à la nouvelle capitale des Gaules pour un concours canin, enfermé dans sa chambre d'hotel à Louis Blanc avec ses dix minuscules chiennes permanentées de papier alu qui pissent partout dans l'entrée - L'éléphanteau de Mantoue, qui à l'heure de mon départ, s'achète pour sa fin de soirée plein de petits gateaux à la crème dans une pasticceria de Milan pour les manger après, quand mon train sera parti - et puis C., l'été en Corse, qui essaie pour la première fois de conduire un scooter, manque de m'écraser et de finir à l'étang. Images prisonnières et qui le resteront, pour beaucoup plus longtemps que ne le sera jamais aucun otage roumain d'Irak, et qui parfois ne peuvent prendre l'air qu'à l'occasion d'un gâteau, ou bien d'une odeur trop forte de troène en fleur, comme là, ce soir, en bas de l'immeuble.

13 juin 2005

mirage de quiches et de hareng

Hier, verrières de Saint-Lazare avant de prendre un train pour la banlieue. La veille, pour fêter mon anniversaire, réussir à perdre des photos de ma petite nièce de six mois dans les sous-sols de ce fameux bar pédé - ou lesbien d'ailleurs peut-être, parce qu'à force on sait plus très bien, enfin le bar à quiches, celui ou on va tout le temps -. La modern baleine a mis son plus beau survêtement en téflon, il y a aussi un flamand roux en chemise kaki, et puis, qui se pressent sur le dance-floor, autant de quiches qu'aux plus beaux jours. Ce soir je mendie, j'ai un peu bu, je me fais inviter au restaurant, on va manger des flammekueche immondes avec Jo et S.2. Les flammekueche, S.2 n'arrive pas à les digérer, il arrive pas à les prononcer non plus d'ailleurs, il dit je crois qu'elles arrivent pas à passer, les flamuches, et d'ailleurs il a raison c'est vrai qu'elles étaient pleines d'huile. Il a bu lui aussi, il veut draguer le flamand roux, je lui dit laisse tomber il parle que flamuche. Et quand je veux rentrer enfin, il faut se cogner la moitié du chemin à pied. Devoir se rendre à l'évidence qu'on avait fait semblant d'oublier : les taxis parisiens le samedi soir, c'est un concept abstrait voire carrément métaphysique, bien longtemps que ça n'existe plus, ceux qui te passent devant et qui sont tous occupés ne sont qu'un mirage de plus, comme l'eau dans le désert dans un vieux Tintin : on leur fait signe quand même, comme on se baisserait pour boire à même la flaque qu'on vient de s'inventer, on n'en peut plus. Dimanche heureusement sera un jour de cadeaux, de harengs marinés et de tartes aux figues. Oui, et si tu as de la chance il pourrait même faire beau pour un peu, et ton pantalon arrêter de tomber, peut-être qu'en cadeau quelqu'un aura pensé à t'offrir une ceinture. Et même si tout le monde sait que tu te fais enculer par des garçons aux oreilles décollées, rassure-toi, ça empêche pas, c'est quand même avec Sandrine Kiberlain que tu vas te marier. Parce que, après tout, c'est pas tous les jours ton anniversaire.

10 juin 2005

cinq ou six fois Béatrice Dalle

C. est un peu somnambule, il se réveille brusquement et déboule endormi dans le salon, panique, "qu'est ce qui se basse bébé ?" il croit que je pleure. Mais ce ne sont pas mes sanglots qu'il a entendu à travers le mur, c'est Béatrice Dalle assise au bord d'une tombe, à la télé, Béatrice Dalle dans ce film Dix-sept fois Cécile Cassard, une fée de plaies et bosses, la blessure qui s'ouvre et l'aiguille qui recoud, Dalle qui déploie en 3D cette figure de femme en deuil, de visiteuse de cimetière et d'accoucheuse du jour, Dalle en reine de la nuit d'un éphémère harem portatif d'hommes-enfants, Dalle en maître d'équipage d'une turbulente traversée du deuil, en chef de chantier d'un lent arrachement au pays des ombres, Dalle accompagnée de garçons-chiots. Mais quand les corps échappent à l'eau sombre, les voix passent à la lumière, le fou-rire guette, l'éclaircie perce enfin et le cinéma naît deux ou trois fois par miracle à l'arrière d'une voiture, au milieu d'une grasse matinée, ou à l'occasion d'une partie de campagne, d'un déjeuner sur l'herbe, sur une barbe naissante. Le film se termine, je rejoins C. rendormi, demain il faudrait que j'aille aux objets trouvés, c'est un endroit trop gris et je repousse chaque jour.

09 juin 2005

pigeon au sang

Hier, il y a de la circulation dans Paris même dans les heures creuses de l'après midi : jour de poisse et de pigeons morts, rendez vous manqués, photocopieuse en panne, internet au ralenti. Les autobus sont pleins de poussettes hurlantes - mais faites les taire enfin dans vos bras, vos gosses, et repliez ces poussettes, ça fera un peu de place pour le vieux monsieur, là, au fond, debout, celui qui s'éponge le front avec du papier journal - les minutes qui passent, une femme hurle en portugais au chauffeur il ne comprend pas, et moi si le feu ne passe pas au vert je descends du bus par la fenêtre je pourrais arrêter un vélo qui passe et être à l'heure peut-être.
Le soir on est invité à diner chez A., elle nous raconte le poisson rouge décédé pendant qu'il était en garde chez le voisin et remplacé par un autre en cachette des enfants, j'imagine le voisin qui se traîne toute une chaude journée quai de la Mégisserie à la recherche d'un poisson qui ressemble au mort, les enfants, eux, trouvent que le voisin, il s'en est bien occupé, du poisson rouge, il a bien grossi, et puis il a repris des couleurs. Comme C. a trouvé tout à l'heure un billet de vingt euros sur le trottoir devant Sainte Elisabeth, pour rentrer on prend un taxi chinois. On lui dit Place Blanche il dit "Place Blanche c'est pas loin Moulin Rouge ??" on lui dit "oui oui c'est ça, pas loin Moulin Rouge", en descendant de la voiture je marche sur un pigeon écrasé dans son sang, rue Lepic.

07 juin 2005

grand hôtel des palmes

Nuits courtes, pénurie de chaussettes, bruit des poubelles dans la rue le matin, toute-puissance des chaînes hertziennes. Que votre conviction soit faite - car j’en suis la preuve vivante un peu plus chaque jour - la médecine française collabore avec Patrick Le Lay et toutes les directions des programmes : la médecine française, la télé n’a jamais été autant allumée à la maison que depuis que mes journées s’écoulent en vain dans ses salles d’attente. Quand le noir se fait, zapping général. Paul Ricoeur discute mémoire et identité, on appuie juste sur un bouton de la télécommande et c’est Robocop qui enlève son casque, alors on réappuie sur le bouton - Ricoeur - et on réappuie encore – Robocop -, entre ces deux-là le match est serré, le résultat indécidable, la main se crispe sur la télécommande, on appuie et réappuie jusqu’à ce que la télécommande n’ait presque plus de piles, jusqu’à ce que les deux combattants meurent d’épuisement et que les programmes ne prennent fin simultanément. Et C. me dit tu trouves pas qu’elle nous regarde bizarre la télé ? Robocop est mort, Ricoeur aussi, mais la télécommande, elle, bouge encore : alors s’élève depuis Coney Island un vieux chant sicilen échappé du Lucky Luciano de Francesco Rosi sur Arte, et dans la bouche d’un petit chef mafieux ce slogan douteux qui illumine la nuit : « Moins de discours et Plus de spaghetti ». La télé on ne l’éteint que quand je m’écroule presque, je suis redevenu celui qui a peur du noir et il faut presque encore me lire Babar pour que je finisse par m’endormir. Alors mon Babar de ce soir, les pages de Mandiargues sur Valery Larbaud et au détour d’une comparaison de leurs manières d’être, Raymond Roussel en prend pour son grade. A ce moment là, ce qui me revient, Roussel est mort à Palerme chambre 224 du Grand Hôtel des Palmes, le Grand Hôtel des Palmes et c’est le zapping de ce soir qui résonne encore : Lucky Luciano fit là-bas le Yalta de l’héroïne, en 57, son Yalta rien qu'à lui. C’est aussi en 1957 qu’était paru ce numéro d’hommage à Larbaud publié par la NRF, et dont j’ai trouvé une réédition l’autre jour chez ma mère, après un dîner de macarons basques trempés dans l’hydromel – « mis en bouteille par l’Abeille de l’Oise », l’hydromel, c’est écrit sur l’étiquette - .

05 juin 2005

frate lupo sì si morì (animalia)

Certains jours, on rêve d’être ailleurs. En ouvrant le journal, voilà: à peine le loup réapparu en France on s’empresse d’accorder des autorisations de tirs aux bergers, et dans le Nord de l’Italie on retrouve des loups pendus à des panneaux signalétiques en bord de route.
Ces jours là on voudrait retrouver un arrière-pays, loin de cette terre d’éleveurs, de facteurs et de factrices, unis au fond pour faire disparaître la peur du loup, pour nous faire oublier de force ce combat d’enfance et de terreur, cette expérience de la forêt et de la nuit. Envie de chanter « Où sont les pâtres ? » parce que c’est à désespérer de trouver un ailleurs à ce pays ou des pâtres indemnisés sont devenus tout à la fois la meute et le troupeau. C’est une part de nous qui rêve d’un refuge : peut être l’Italie encore mais plus au Sud, à Rome peut-être, à Rome les loups traversent le périphérique, il y en a un le pauvre il s’est même fait écraser aveuglé par les phares. Aller plus loin encore, trouver une cachette, là où on nous laisserait chérir nos peurs, partager le soir avec les loups, et pourquoi pas, tant qu’on y est, jouer aussi du flûtiau: montagnes des Abruzzes, grottes lucanes, rochers de Calabre. Pour oublier, on peut ressortir d’un vieux tiroir les Fioretti de Saint François ou continuer à lire le journal, poésie de la grippe aviaire : en chine un millier d’oies sauvages contaminées par le virus, je dis à C. c’est très beau la grippe aviaire, un millier d’oies sauvages, dit comme ça, la grippe aviaire, on aimerait presque l’attraper.

" Finalmente dopo due anni frate lupo sì si morì di vecchiaia, di che li cittadini molto si dolsono, imperò che veggendolo andare cosi mansueto per la città, si raccordavano meglio della virtù e santità di santo Francesco. " Fioretti, XXI

04 juin 2005

ménage de fruits rouges

Prendre les livres qui te tombent dans les mains en faisant la poussière des étagères, les ouvrir au hasard, ce que j’appelle « lire à la ménagère », et la littérature ce matin est pleine de cerises : au hasard des pages de Supervielle il y a ces cerisiers marins au fond de cette histoire de sirène rencontrée par l’homme de la pampa, et, dans une nouvelle de Fenoglio, ces cerises à peine cueillies mangées en dessert après un repas de chocolat suisse sur une colline du Piémont. En faisant le ménage dans sa bibliothèque, se confectionner un chapelet de fruits rouges : petit jus violet. Les jours de chance, on peut s’établir un chiffon à la main une de ces règles absurdes et vraies, au moins pour un matin, comme celle qui veut que les livres et les films ne soient fait que d’histoire de fantômes qui perdent du sang entre des draps ou bien de fruits d’été, bons à tacher une chemise.

petit taï-chi du mois de juin

Accessible aux débutants, un enchaînement simple, élégant mais discret, petit taï-chi chuan matinal adapté à un mois de juin qui commence : 1) Se réveiller si tôt parce qu’en rêve on s’est disputé violemment avec de très vieux amis, des amis de quand il a cessé de te pousser des poils, les voir te baver dessus de haine, en avoir mal au ventre comme tomber dans un puits. 2) Mais se réveiller il fait tellement plus beau que la veille, le yaourt contre le cholestérol est à la vanille, la pharmacie n’est pas encore ouverte, par la fenêtre voir l’or des Invalides. 3) Prendre le bus et manquer deux fois de se retrouver au terminus parce que ça roule si vite le samedi matin quand il n’est même pas huit heures. 4) Traverser en arrivant le square du Temple désert à part ces deux chinois qui jouent au ping-pong près du kiosque derrière la pelouse et une italienne qui fait sa gymnastique. 5) Dans la rue, sur la porte, tomber sur un avis de décès en noir et blanc sorti d’un film des années soixante, mais pousser la porte et entrer quand même.

02 juin 2005

une histoire de bougies

C’est bientôt mon anniversaire, et je me disais l’autre jour pas de ma faute si je crois encore que j’ai trente ans. Non vraiment pas votre faute si les années se ressemblent trop en plus qu'elles se suivent, comment pourriez vous vous rappeler votre âge, dehors c’est toujours aussi pollué, dans la chambre on fume toujours autant et puis les nouvelles à la radio, je ne sais pas s’il faut encore l’allumer ça pourrait aussi bien être un magnéto mais c’est comme si il n’y avait plus de bouton pause, les mêmes nouvelles que l’an dernier et puis les journaux qui s’accumulent par terre : on s’en sert pour étaler sur la moquette quand C. me coupe les cheveux, dans le salon. En 2004 on nous racontait des choses qui pourraient aussi bien être nées d’aujourd’hui : Uderzo portait plainte contre l’église de scientologie, Madonna croyait découvrir la kabbale, après huit ans le désamiantage de Jussieu n’était toujours pas terminé, pendant ce temps en Gironde on euthanasiait un pékinois de trois ans qui n’avait pas été vacciné contre la rage. Et déjà ça, qu’est ce que vous voulez, je suis pas responsable si ça ressemble tellement à 2005 que le sang se fige. Mais attendez la suite : en 2004 la pellicule argentique continuait son déclin, Kodak fermait la moitié de ses labos français, deux jouvencelles étaient enlevées dans les locaux d’une ONG à Bagdad, à Rome des italiens manifestaient par troupeaux entiers leur pacifisme bêlant de paysans parvenus, ailleurs l’OMS faisait savoir que dans le monde un suicide avait lieu toutes les vingt secondes, de soi-disant anti-inflammatoires miracles étaient piteusement retirés du marché pharmaceutique parce qu’en les achetant on s’achetait des crises cardiaques avec. Et puis le zoo de Vincennes se mourait, les lions étaient partis, le rhinocéros aussi, ça allait bientôt être le tour des ours, le soigneur des girafes faisait une dépression et les faux rochers menaçaient de s’écrouler… Il faudrait que je pense à arrêter de me faire couper les cheveux : tout ça rappelle tellement le journal de la semaine dernière que ça me glace les os, dans ces conditions comment je pourrais encore savoir combien de bougies je vais devoir souffler cette année, ça me donne envie de rester sous la douche, de laisser couler l’eau chaude et de m’évaporer. Mais j’ai encore faim et soif parfois, et puis en fait il y a bien quelque chose qui me revient, un ou deux souvenirs comme des pierres qui marquent : en 2004, à l’automne je crois, une vieille chinoise a disparu dans le quartier du Temple à Paris. Ses enfants avaient mis des affichettes photocopiées sur toutes les vitrines du quartier, on était juste prié de téléphoner si on l’avait vu passer, sa photo ne s’étalait pas au fronton des mairies et les présentateurs télé ne l’appelaient pas par son prénom, il faut dire qu’elle avait pas de chauffeur irakien, elle. C’était en 2004, je ne sais pas si on l’a retrouvée, mais je crois que je vais essayer de me souvenir d’elle, au cas où un jour je la croise. En 2004 aussi, pour le premier anniversaire de la mort de mon père je disais le Kaddish sur sa tombe à Pantin au milieu des arbres et des allées jonchées de pétales mauves, on aurait dit une cité-jardin des morts, on a laissé les trois cailloux sur sa tombe comme d’habitude, un pour chacun des trois Avot, Abraham, Isaac, Jacob, un chacun. Et finalement, mon âge, on sait pas, je pourrais peut-être faire un effort, ça pourrait me revenir.

01 juin 2005

compresse 23

La fête des voisins dans la rue en bas, genre baloche de quartier, je t’en prie s’il te plait ferme la fenêtre ça fait quinze fois qu’ils massacrent la même chanson on s’entend plus regarder la télé, je vois pas ce qu’il y a à fêter, d’ailleurs on les connaît même pas les voisins à part l’américaine au chihuahua du premier, l’autre jour j’ail failli l’écraser le chihuahua, tu crois que c’est lui qui chie partout devant l’entrée, on aurait du la signer leur fameuse pétition de quartier contre les crottes, la dernière fois j’en avais plein les chaussures en arrivant au travail. Mais quand la fatigue et les nerfs du jour te laissent sans sommeil, il y a encore un programme à la télé quand ils arrêtent de chanter en bas, un revenant blafard à la télévision (c’est Daniel Darc, le pauvre il a pris un coup dans le chou, mais toi aussi tu sais ) qui déclame le psaume 23 sur Arte, et tu as envie qu’il s’arrête jamais, que ces images brouillées restent à l’écran et que les mots du roi d’Israël tournent en bouclent en un remix sans fin, c’est comme un chiot qui te lèche pour panser tes blessures, l’eau tiède que tu fais couler sur ta joue après t’être coupé en te rasant, une compresse d’herbe fraîche. Psaume de David, télévision nocturne, une couronne apaisante, un hip-hop de consolation…
Mais Arte n’a pas que ça à faire de rester là à te consoler toute la nuit et les programmes finissent par s’arrêter, je dis à C. tiens passe moi donc le synthol, mais le synthol, je peux vous le dire, c’est moins bien, cette nuit j’ai comparé.