Planète molle
Quand tout ça a été terminé, et Scoubidou vite oublié, c'est là que la merde a commencé. Et puis ensuite mon père est mort, et ça a continué. Les vertiges, les scanners, les soucis, les pilules de toutes les couleurs, mon temps chez les docteurs : ma vie sur la planète molle. Les années ont passé comme un tunnel. Il y a eu des vacances à la mer, il y a eu tant de bières et de médocs avalés, les amis dépassés, largués ou enfuis. Il y a eu C., et il y a P.
Un tunnel oui : je crois que j'ai vingt ans mais tout me dit que je me trompe, parce qu'aujourd'hui dans les hôpitaux les scanners ont 64 barrettes, qu'à la télé on a remplacé les présentateurs par des hologrammes, que dans les bleds les postes ferment et les trains s'arrêtent plus, que la sécu est sur répondeur tapez dièse, qu'en France tout le monde s'est mis à avoir des noms en « i » même les consoles de jeux, que Morrissey a l'air d'avoir soixante-cinq ans parce qu'il les a presque, et que j'ai même appris à me servir d'une clé USB. Sept ans. Entre temps, pendant qu'on avait même pas fini d'inventer Pete Doherty, personne ne payait plus pour des chansons, les concerts passaient à cent dollars, et on avait même trouvé des mecs qui chantaient qu'on aurait encore plus dit Nina Simone que si la Simone elle pouvait chanter encore.
Alors voilà : ici le pays est plein de déserts, médicaux, sociaux, et puis ferroviaux aussi, tiens, mais le couscous de la rue Quincampoix - si si, celui juste à côté de l'Accueil Cancer - s'est transformé en centre de fitness bon-bourgeois pour les tarlouzes du quartier, quant à Roger il ne boit plus que des cafés liégeois. Il paraît aussi que si c'était que du Président, les psychotiques et les autres tarderaient pas à se retrouver renvoyés à Fleury ou à Fresnes, parce que non, à la Santé, faut pas pousser.
Mais maintenant, moi ça va mieux. Ça VA aller mieux.
( pour P., pour C., pour N., avec un sourire à Scoubidou et une tendre pensée sans rancune pour Joselito )