24 février 2009

Sororales écholalies (nouvelle aube)

Dans les bars, tard, quand la bière coule de trop, on peut nous voir vomir ou pleurer, pisser sur une piste de danse, transpirer d'une sueur faite du houblon et de nos maux mêlés, ravaler ou dégurgiter, quand les verres débordent, la coupe entière de nos années, de nos colères, de nos terreurs ou de nos peines, et en devenir - marionnettes et ventriloques- étrangers à nos gestes, à nos mots, par tout moyen achevant de nous égarer de concert. On peut nous voir, voulant parfois nous atteindre l'un l'autre à tâtons, ou simplement rejoindre l'autre en nous que l'alcool ou la peur a éteint ou rallumé, nous cogner contre des parois invisibles, tomber et nous relever, cherchant séparément mais ensemble le moyen de sortir à nouveaux vivants et en vie de chacune de nos nuits. Ces soirs-là, on peut nous entendre, comme des malades de la Tourette faisant résonner dans le noir les plus curieuses de nos coprolalies, émettre du fond d'une cave ou de derrière une terrasse, les bribes désarticulées du babil schizophrène en feu qui est le sabir de nos deuils, l'interprète de nos pertes et la seule voix de nos regrets.

Mais que plus un ne s'échappe, plus un de perdu, tu sais qu'il nous faut rester : c'est l'aube, le jour arrive et demain on trouvera bien encore une chanson à chanter. Il y AURA une chanson à chanter, et tu aimeras ça. Il y aura des garçons à vélo dans la rue, des gens en bonnets dans l'avenue, des arbres et des voitures en bas de chez toi. Tu iras voir un copain dans ton quartier ou bien on ira au cinéma, on mangera des bonbons, on trouvera. Je sais, la nuit c'est comme ça, il y a trop près de la coupe aux lèvres et du poison à la coupe, mais la nuit est finie maintenant : réveille-toi.


( Pour les sœurs que je n'ai pas mais qui sont si près de moi, et pour les fleurs de tes bras)

« The time has got me in its sway
Though I'd like to ride away
I will wait another day

If you wait another day
I will wait a day »

( Bonnie Prince Billy « Agnes, Queen of Sorrow »)

17 février 2009

Tout poil apparent.

Rue du Faubourg Poissonnière samedi dernier c'est la Saint Valentin.
On se croirait dans une fête de commerciaux trans-genres de chez Haribo, mais trans-du-genre qui s'arrosent de Chardonnay Bubble pour mieux finir par se saccager au Brouilly. Fausses blondes SM instantanées, agitant leurs chevelures de vinyle et leurs martinets plastiques, fouettant l'air saturé ou le cul de danseurs égarés, petites rousses de cirque échappées d'un « La Strada » LGBT qui s'affairent sur le sofa autour d'un Meat Loaf en guêpière, et dans la cuisine, un ange en escarpins qu'on dirait revenu d'un concert de Judas Priest, ses ailes de coton immaculées, sa perruque noire de hard-rockeux d'un soir, ses collants tout poil apparent. Tout ça s'achève vautrés de vins, secoués de hoquets et de fou-rires, rétamés sur le parquet filles et garçons mélangés, et j'aimerais bien qu'ils soient tous mes amis, enfin dans un monde où on serait tous trans-genres ou dans un autre où on travaillerait tous chez Haribo. Mais bon voilà , j'ai beau chanter les psaumes et vouloir croire en un monde qui vient, ni l'un ni l'autre ne risque d'être pour demain, parce que AFP, Reuters ou France Info, tous veillent à nous ôter toute espérance : au Festival de San Remo on chantera cette année des refrains racontant des « pédés guéris », ce mois-ci Lux Interior est mort et Ivy est seule, L'Eldorado est fermé depuis longtemps et dans la banlieue de Paris une manufacture de pianos est en cendres, à Hong-Kong on est en train de fabriquer les premiers Porno en 3D tandis qu'à Amsterdam les bordels n'ont jamais aussi bien vendu leurs bulgares hétéros et leurs tout jeunes roumains. J'ai le foie malade, je dois manquer d'eau, je crois que je n'entends plus très bien - peut être que je devrais passer un de ces nouveaux tests auditifs par téléphone pour voir si c'est grave, ou bien ?-, quand P. vient on boit parfois tellement qu'on en a du mal à faire l'amour une seule fois du week-end, et ne plus jamais revoir C. retranché dans son exil burgonde me rend triste à crever. Et puis la nuit je n'ai même plus besoin de mes cauchemars, l'ombre gagne et l'emprise des nains psychopathes au pouvoir s'étend sur l'Europe, ça fait bientôt deux ans que la France a le sien, et en plus petit qu'en Italie, y en a qui doivent penser que ça fait plus joli. Dans mes rêves je flotte au large, à la surface de l'eau, et je suis repêché par ces pirates somaliens du golfe d'Aden, j'essaie de leur expliquer qu'ils feraient mieux pour tout le monde de kidnapper Sarkozy mais y a rien à faire, je parle pas somali.

01 février 2009

Révolution (Figatelles arrangées)

C'est panne et révolution dans les services publics, et c'est comme si c'était pour fêter ça qu'on va dîner dans ce resto de couscous à la pression où ils font très bien le couscous mais où ils ont jamais appris à servir la pression, que le premier belge qui passe en voudrait pas pour cinq cents, voire même leur jetterait quasi la pinte à la figure, en fait. A l'apéro, S. me sort de sa sacoche des trucs de son boulot, il me montre des maquettes publicitaires pour des paquets de viande Charral, d'un air dégoûté, sous un faux lustre en cristal. Autour il y a des bears assis sous les boiseries et puis des filles à monticules capillaires, aussi. C'est au dessus d'une cave du dixième, et on y descend parce qu'on est là pour le concert de T., pas pour la viande, et pour les filles ben non plus, depuis quand. Il chante pied de micro en avant ses belles chansons d'étoiles mortes et de cannibales en appartement, le clavier assis à côté de lui sous un tableau de Betty Boop Superstar accroché tellement de travers qu'on y croirait punk grave, avec les lettres qui clignotent plus qu'à moitié, et nous en bas on applaudit, pendant qu'à l'étage près du lustre les patrons du rade boulottent leur méchoui pénards, sans harissa on dirait mais avec TF1 bien sûr, parce que c'est la grève et que TF1 a du resté allumé depuis au moins sous Juppé. Après le concert c'est la quête dans un bonnet, à table T. est accompagné d'une fille que je sais pas c'est qui, alors après qu'elle soit partie, je demande à T. c'est qui cette fille au fait, c'est ton mec ou quoi, mais il me répond que non, c'est sa manageuse. Dommage. Du coup on continue à boire leurs bières sans col pas même mousseuses, et quand c'est l'heure de partir il y en a encore qui veulent aller se faire ailleurs quelques rhums arrangés, mais moi je suis déjà bien assez arrangé comme çà et je veux rentrer, le froid dans la rue de Hauteville me fait monter les larmes, S. croit que je pleure et voudrait me consoler. Une fois chez moi c'est reparti pour une nuit de palpitations, de tête lourde et d'insomnie, je ne dors pas et je peux quand même pas reprendre encore du xanax rose, et puis ce dont j'aurais eu besoin pour pouvoir enfin sombrer, c'est ne plus avoir peur de refaire le cauchemar de l'autre nuit - celui dans lequel mon oncle mort bouchait les chiottes de sa diarrhée, une diarrhée monumentale et ça m'avait terrorisé -, ou bien de fleurs et de baisers.

Il faut que je téléphone à Caroline : son fils - qui est en CM1 ou est ce que CM2 - est déjà tellement beau, qu'il faut que je lui dise, à cette vieille copine pas revue depuis tant - jusqu'à l'autre soir où on a dîné de figatelles- que quand il sera en classe de seconde, ou de première peut-être, il faudra absolument que j'arrête d'aller dîner chez elle, qu'il sera devenu légal, et un peu trop comestible, surtout.

Que Dieu nous préserve de la tentation, des rhums trop arrangés, et des cauchemars où on voit des morts, Que Dieu continue de nous donner chaque jour des figatelles et des lentilles, Amen.