The Airplanes at Brescia
Le jour, les cartons ouverts débordent de mes
vieux vinyls retrouvés. Le soir des files interminables d’automobilistes
avancent à peine sur la deux voies qui longe le lac bourré de lombards en
week-end et de vacanciers allemands déshydratés. Au bout de la route, devant
l’amphithéâtre qu’un mégalomane perché s’était fait bâtir sur la colline au
temps d’un régime qui asséchait les marais et paradait en chemise, ce concert
pâle, sur la scène cette longue japonaise chevelue qui se contorsionne sur ses bottines, on
se dit qu’elle va les casser, elle s’emmêle le micro dans des mélodies tour à
tour pénibles et éthérées, B. en perd une semelle de ses Campers, et quand la sono s’éteint, un
feu d’artifice qu’on voit de derrière l’église achève de vider les batteries de
nos portables épuisés.
Les pigeons de la maison abandonnée a coté
perdent leurs plumes sur le sol de notre chambre à coucher, il y en a tellement
que je pourrais les peindre toutes et m’en faire une grande coiffe de chef indien et
une plus grande encore pour B. Les jours baignent dans la soupe
d’humidité subtropicale qui rend les ventilateurs dérisoires et laisse la
plaine accablée, les pigeons continuent de chier dans le ciel sale et les
cloches à sonner, B. fait de longs cauchemars plein de viaducs et de
routes suspendues au dessus du vide, au Parco Pastore, les ados, stratèges et
blasés, chassent le pokemon à vélo, au dîner chez F. les enfants se
partagent des pizzas recouvertes de pommes-frites et le campari se noie au fond
des verres de vin blanc. L’autre jour on a dévalisé en anti-moustiques mon
premier supermarché.
Je me souviens quand on m'avait changé de
bureau, on m'avait volé ma fenêtre qui ouvrait sur le ciel bleu au dessus de
Saint-Gervais Saint-Protais de l'autre côté de la rue, il n'y avait plus plus
rien à voir, la lumière était allumée dès qu'il pleuvait, en bas le local
technique était en travaux depuis six mois ils avaient enlevé les distributeurs
de boissons et celui qui restait au sous sol te donnait pour quarante cents du
café sans gobelet, tu pouvais tendre les mains pour en récupérer un peu,
entre tes paumes, une fontaine à jus lyophilisé, de chaussettes, d'un goût
aussi désolant que l'échec qui m'avait conduit dans ce dédale de petits
fonctionnaires devenus zombies majeurs, se trainant au ralenti d'une cour à
l'autre de l'hôtel de ville, hébétés et hagards, et dont je faisais partie, la
tête contre les murs, ces consignes absentes, ces travaux inutiles, à faire
semblant de brasser du rien, dans une ville que je ne reconnaissais plus.
Maintenant le Mont-Blanc est derrière moi,
Paris et le Jura. On a acheté plein de biscuits de la Conad à tremper dans nos
cafés au lait. Le ciel est blanc et sale, mais le bleu reviendra.
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