02 juin 2005

une histoire de bougies

C’est bientôt mon anniversaire, et je me disais l’autre jour pas de ma faute si je crois encore que j’ai trente ans. Non vraiment pas votre faute si les années se ressemblent trop en plus qu'elles se suivent, comment pourriez vous vous rappeler votre âge, dehors c’est toujours aussi pollué, dans la chambre on fume toujours autant et puis les nouvelles à la radio, je ne sais pas s’il faut encore l’allumer ça pourrait aussi bien être un magnéto mais c’est comme si il n’y avait plus de bouton pause, les mêmes nouvelles que l’an dernier et puis les journaux qui s’accumulent par terre : on s’en sert pour étaler sur la moquette quand C. me coupe les cheveux, dans le salon. En 2004 on nous racontait des choses qui pourraient aussi bien être nées d’aujourd’hui : Uderzo portait plainte contre l’église de scientologie, Madonna croyait découvrir la kabbale, après huit ans le désamiantage de Jussieu n’était toujours pas terminé, pendant ce temps en Gironde on euthanasiait un pékinois de trois ans qui n’avait pas été vacciné contre la rage. Et déjà ça, qu’est ce que vous voulez, je suis pas responsable si ça ressemble tellement à 2005 que le sang se fige. Mais attendez la suite : en 2004 la pellicule argentique continuait son déclin, Kodak fermait la moitié de ses labos français, deux jouvencelles étaient enlevées dans les locaux d’une ONG à Bagdad, à Rome des italiens manifestaient par troupeaux entiers leur pacifisme bêlant de paysans parvenus, ailleurs l’OMS faisait savoir que dans le monde un suicide avait lieu toutes les vingt secondes, de soi-disant anti-inflammatoires miracles étaient piteusement retirés du marché pharmaceutique parce qu’en les achetant on s’achetait des crises cardiaques avec. Et puis le zoo de Vincennes se mourait, les lions étaient partis, le rhinocéros aussi, ça allait bientôt être le tour des ours, le soigneur des girafes faisait une dépression et les faux rochers menaçaient de s’écrouler… Il faudrait que je pense à arrêter de me faire couper les cheveux : tout ça rappelle tellement le journal de la semaine dernière que ça me glace les os, dans ces conditions comment je pourrais encore savoir combien de bougies je vais devoir souffler cette année, ça me donne envie de rester sous la douche, de laisser couler l’eau chaude et de m’évaporer. Mais j’ai encore faim et soif parfois, et puis en fait il y a bien quelque chose qui me revient, un ou deux souvenirs comme des pierres qui marquent : en 2004, à l’automne je crois, une vieille chinoise a disparu dans le quartier du Temple à Paris. Ses enfants avaient mis des affichettes photocopiées sur toutes les vitrines du quartier, on était juste prié de téléphoner si on l’avait vu passer, sa photo ne s’étalait pas au fronton des mairies et les présentateurs télé ne l’appelaient pas par son prénom, il faut dire qu’elle avait pas de chauffeur irakien, elle. C’était en 2004, je ne sais pas si on l’a retrouvée, mais je crois que je vais essayer de me souvenir d’elle, au cas où un jour je la croise. En 2004 aussi, pour le premier anniversaire de la mort de mon père je disais le Kaddish sur sa tombe à Pantin au milieu des arbres et des allées jonchées de pétales mauves, on aurait dit une cité-jardin des morts, on a laissé les trois cailloux sur sa tombe comme d’habitude, un pour chacun des trois Avot, Abraham, Isaac, Jacob, un chacun. Et finalement, mon âge, on sait pas, je pourrais peut-être faire un effort, ça pourrait me revenir.