28 septembre 2007

Marie-José Cambon

Après ce film de vaches et d’amnésie, de baisses de vision et d’ânes dans un brouillard épais, j’emmène le garçon fleuri qui veut boire son lait fraise face à Notre Dame, puis à son tour il me traîne derrière lui de par les rues du marais, jusqu’à cette librairie pédé autrefois si belle, et qui ressemble plus à grand-chose aujourd’hui. Au sous sol pourtant, cette exposition de trans-boys magnifiques, ces beaux visages de garçons des rues, exhibant sur leurs corps réinventés les signes encore indécis d’une masculinité nouvelle, comme une adolescence retrouvée, faux pénis et poils qui poussent, insolence et gravité, cicatrices et coutures, sous les seins. Boire encore trop de bières, et une fois rentré chez moi ne trouver qu’un seul message sur ma boîte hotmail, Bouygues Télécom, et pour la troisième semaine de suite, c’est dans mon courrier qu’arrive la newsletter hebdomadaire à laquelle semble s’être abonnée Madame Marie-José Cambon. Un jour, il faudra que je leur téléphone, à Bouygues Télécom, pour leur dire vous savez, c’est pas que ça me dérange, mais je m’appelle toujours pas Marie-José, et Mme Cambon, en fait, c’est pas moi.

14 septembre 2007

Le réveil et le châle

Au réveil, soudain Paris s’est rempli de kilts. Paris envahi de jeunes écossais jambes et mollets poilus dans leurs kilts flambant neufs, venus supporter leurs joueurs, moi couvert de bleus et de bandages, je me sens pour un jour un de leurs héros, moi qui pourtant ne sais rien du rugby, et ne veux surtout rien en savoir, moi qui suis juste tombé d’un escabeau, en redescendant d’un toit, par une trappe fenêtre. C’est que ce n’était pas le mien de quarantième anniversaire, chez Doumé, l’autre nuit, rue Beaurepaire, tout près de là ou la rue Dieu finit dans le canal, mais j’étais triste et j’avais bu, tout pareil. Apprendre ce que ça coûte de courir les toits après des chimères en habits d’arlequin : quelques tubes d’arnigel, chez le pharmacien, et des égratignures, partout. Mais aujourd’hui, en ouvrant Le Monde, une publicité, et voilà que Matthew Fox, celui de Lost – Les Disparus utilise la même marque de crème de beauté que moi, et c’est comme si ça allait marcher, comme si, petit miracle dermato-cosmétique moderne, dans quelques semaines à peine, j’allais pouvoir, enfin, demander Benoît Magimel en mariage, ou Joseph Fiennes, ou mieux encore les deux ensemble, après tout.

Cette semaine, cette grosse colère en écoutant la radio, entendre, une boule dans la gorge, Dan Franck se faire insulter par l'intelligentsia bien-pensante quand il ne fait que rappeler des vérités de soixante ans, quand oui, Max Jacob a bien été abandonné de tous, lâché par un salaud qui avait déjà peint Guernica et qui peindrait encore longtemps ses hideuses colombes, mais qui n’aurait pas bougé d’un doigt pour son ami, qui pouvait bien crever à Drancy. C’est que se mouiller en faveur d’un juif homosexuel et mystique chrétien, pour un macho à deux balles comme Picasso, faut comprendre, le pauvre, ça faisait peut-être un peu trop. Si la France qui pense est si compréhensive, c’est bien qu’elle fait pareil aujourd’hui, ils sont tous là à dessiner des colombes dans le sable, à s’émouvoir sur des conflits lointains, à s’exhiber en contempteurs d’hyper-puissances désignées à une vindicte facile, et prompts à s’indigner, comme d'autres lèvent pour la bonne cause des choeurs d'enfants, de l’injustice commise au bout du monde. Mais quelle est la voix qui s’élève encore pour un voisin de palier soudain disparu ? Quelle est l’oreille qui se tend pour entendre cela qui est si proche et que nous ne voyons pas, ce bruit pourtant bien français, les hurlements de misère qui montent ici-même de nos prisons, de nos hôpitaux, de nos services psychiatriques ? Nous vivons dans un pays sans honte, sans oreilles et sans yeux.

En attendant, c’est le nouvel an, nous sommes en 5768, après la synagogue et un passage à la Pitié, je me retrouve aux terrasses sur Bear Street, une poche en plastique à la main et, dedans, une radio des poumons et un châle de prière. Ne pas diluer dans ma bière l’espoir et la crainte. Dans huit jours, quand sonnera une dernière fois la corne du bélier, la corne du réveil, des têtes se baisseront, un peu partout autour du monde, recouvertes une fois encore par une mer de châles blancs.