31 mai 2005

des saucisses crues, crues mais tièdes (Saint Ouen)

Alcool et médicaments psychotropes, les médecins et moi ce samedi soir avons fabriqué un poison connu, mais la vodka n'agit qu'après que j'ai quitté la fête d'anniversaire de Rigoletto, il est presque quatre heures et je pars pour trois heures d'amnésie entre le périphérique et l'avenue de Saint Ouen, un trou béant, un cauchemar stupéfait qui sort de la glue de l'enfance et des alcools forts, tu te retrouves à l'école en haut de pyjama et en pantoufles tu veux crier mais le jour est à peine levé et rien ne sort de ta gorge - parce que le rêve est aussi celui où tu te sens pris au filet et tu appelles mais comme par hasard tu es aphone- tu voudrais te cacher sous un escalier mais tu n'en trouves pas. Quand tu reviens peu à peu à toi tu es en train de marcher encore, c'est l'avenue de Saint Ouen il est sept heures du matin le dimanche et ça fait longtemps que tu ne vas plus à l'école mais tu es sans chaussures sans portefeuille et puis surtout sans pantalon, la terreur te prend à nouveau parce que tu ne sais rien et qu'est ce qu'on a bien pu faire de toi ou peut être qu'est-ce que tu as fait de toi tu ne te souviens tellement de rien tu aurais pu aussi bien violer un nourrisson ou essayer de t'envoler au dessus du périphérique il y avait tellement de lumières et enlever ton pantalon pour pisser sur les voitures en bas, mais d'abord regarde : c'est le matin, tu es en train de marcher en chaussettes et en caleçon, dépêche toi de rentrer chez toi, mais tu n'as plus tes clefs, appelle ton frère avec ton portable - au fait, ton portable, bon ça va, ça on te l'a laissé, d'ailleurs c'est bizarre. Une heure après on te donne des vêtements, on te rassure et voilà un lit dors un peu tout va bien maintenant et puis on est là, mais le jour qui suit les grandes personnes te regardent d'un regard sans yeux, toi tu es un enfant de trois ans toute la journée arrête de sangloter oui tu as reconnu la terreur c'est comme à la maternelle mais tu ne dois plus penser à ça tu sais qu'à ton âge et avec ton hypertension tu ne le supporterais pas ça pourrait te faire mourir de peur, au commissariat pourtant ça les fait rigoler et tu fais semblant de rigoler avec eux mais personne n'y croit. Le dimanche soir tu te remets à peine - et puis tu es aussi tombé cette nuit ou bien est-ce qu'on t'a cogné tu as mal à l'arcade sourcilière - mais le cauchemar continue il est vingt-deux heures on est le trente mai deux mille cinq la France a voté Sarkozy, à la télévision la "gauche du non" parle du "peuple de France " tu as peur et tu voudrais te cacher le visage sous un oreiller ne plus les entendre ne rien voir on se croirait en trente-huit tu te demandes si le président d'Attac est un allien en mission, d'ailleurs à les entendre ils seraient prêts à brûler un parlement, tu essaies de penser à autre chose la recette du gloubiboulga par Casimir que S. t'a envoyé l'autre jour en mp3 - "des saucisses crues, crues mais tièdes, c'est très important"- par exemple mais tu sais que dans tes cauchemars cette nuit tu verras Clémentine Autain partout, Marie-Georges Buffet a l'air ivre morte elle bégaie plus ce soir que toi ce matin et C. assis près de toi qui te protège de ses bras ne sait plus très bien si on doit en rire ou en pleurer par instants on se demanderait même s'il ne faut pas préparer nos bagages. Lundi à la radio combats de rue à Perpignan j'ai tellement mal à la tête - dans le bus 74 un petit bébé pousse des glapissements déchirants ça me met une boule d'angoisse - peut-être que c'est lui que tu as tué samedi soir mais il y avait pas de sang sur ta chemise, ou bien il a regardé les débats à la télévision la veille et il voudrait ne plus être né - puis en rentrant chez nous exactement les mêmes glapissements déchirants je ne comprends pas nous n'avons pourtant pas d'enfants à la maison mais en fait C. dit non regarde c'est la télévision, sur M6 le singe velu de La Guerre des Etoiles, ils s'enfuient lui et la princesse Leia mais la propulsion ne marche plus alors il crie parce qu'il a peur pour son vaisseau.

28 mai 2005

salon de coiffure L'Amitié

Hier, face le salon de coiffure « L’amitié » à Pantin, des bouts de La Bohème et des bouts de Rigoletto. Je connais pas Pantin, c’est la première fois que j’y allais pour autre chose que la tombe de mon père au cimetière parisien. Il y des minuscules tobogans en plastique avec des enfants dessus devant la salle de concert, on fond ce soir et les petites bouteilles d’eau sont chères au kebab d’en face à l’entracte. Il y a un truc extraordinaire à Pantin, à onze heures du soir il y a encore trois boulangeries ouvertes aux Quatre Chemins, j’achète du pain tunisien avant de reprendre le métro pour Blanche et du coup dans mon enthousiasme j’en ai même achété trop il faudra en jeter, ils n’ont plus qu’à rajouter un marchand de journaux ouvert après minuit et je me dis qu’on pourrait tous s’y installer, aux Quatre Chemins. Après une nuit courte, toutes fenêtres ouvertes et draps par terre, la lecture de ce samedi matin au livre des Prophètes, Jérémie, quelque part en chapitre XVII : « Il sera tel un arbre planté au bord de l’eau et qui étend ses racines près d’une rivière : vienne la saison chaude, il ne s’en aperçoit pas, et son feuillage reste vert ; une année de sécheresse, il ne s’en inquiète point, il ne cessera pas de porter des fruits ». En attendant, pour l’instant, moi ma poitrine se couvre de poils blancs, il faudrait qu’un jour on fasse enlever ce miroir dans le couloir. Comme tous les matins en ce moment, je réveille C. en lui marmonnant dessus, chabbat chalom j’y crois pas je suis sûr que tu me piques des livres dans ma bibliothèque et que tu les vends, chien, je sais que la vie est chère mais quand même, il me dit mais non je t’assure tu rêves cherche bien tu vas les retrouver mais ce matin je suis plus énervé que d’habitude, je me suis réveillé en me disant mais tiens c’est vrai j’y pense il manque aussi tous mes Larbaud et comment je vais faire, ça me rappelle quand j’étais persuadé que la femme de ménage de ma mère me piquait toutes mes chaussettes dans le panier à linge et ça me rendait fou.

27 mai 2005

à l'étouffée (My generation)

Chaleur de plomb et mouches partout, un temps à émeutes noires et blanches, ils ont publié les lettres d'Aldo Moro en français, les bus sont des autocuiseurs, les arbres crèvent, les poissons dans la Seine pareil, on ne trouve plus que du chocolat fondu : j'ai les semelles qui collent, il fait si chaud qu'en mettant une jambe devant l'autre on en voit presque le temps qui passe, si chaud qu'on en oublie de jouer au loto. Le loto, je pense à toutes ces îles qui n'en sont plus, comment s'habituer à tous ces tunnels tous ces ponts, je me dis tu es vieux, je me dis : ma génération. Ma génération prenait encore le ferry pour aller à Londres mais ma génération prenait des cuites à la bière et jouait encore aux cartes en attendant le train le bateau, et ma génération c'est vrai avait écouté les Psychedelic Furs et les Comateens, ma génération n'était pas altermondialiste ma génération pourtant avait vu la police dans la rue à cheval, ma génération se foutait bien du commerce équitable elle faisait des photos noir et blanc et rêvait devant de vieux rolleiflex , ma génération ivre morte avait appris la fellation de la bouche d'un barman florentin, ma génération avait vu les fans des Cramps casser des fauteuils à l'Eldorado, ma génération disait qu'elle vénérait 77 mais ne pensait qu'à ses propres vacances romaines. Il fait si chaud que je me dis t'es un vieux con toi et ta génération par cette chaleur encore quelques jours et vous êtes cuits on n'en parle plus. Je me dis ne respire plus, n'ouvre pas la bouche, tais-toi, économise ton souffle. Il fait si chaud je voudrais me lever pour boire mais j'ai le skaï du canapé scotché au cul.

25 mai 2005

Cas 05-002720, Kent, 2005

Entre la Swale et la Medway dans le - Kent / ce mec trempé qui sort d’on sait pas où qui ne parle ni lithuanien ni - suédois - il est en - costume / il a marché jusqu’à l’embouchure ou il a nagé longtemps ou bien est-ce qu’on l’a - déposé là / on a essayé de lui parler dans toutes les langues la langue des signes mais il a peur il - dessine - un piano sur la feuille qu’on lui tend et si c’était - Glenn Gould / retombé de loin là par hasard atterri une - deuxième fois / à l’hôpital de Little Brook il ne touche pas à ses plateaux repas il n’a pas pu nager - tout habillé / il écrit des notes de musique, on lui a mis un - piano - dans sa chambre il ne joue que quand- tout le monde sort / les psychiatres ne parlent plus que de lui à la BBC il se - précipite - sous la table quand les aides-soignantes poussent la porte pour lui apporter à - manger - est-ce qu’il a sauté d’un - bateau / ils ont ouvert une - helpline - qui est saturée d’appels on a contacté tous les orchestres d’Europe il n’a plus aucune - étiquette - à ses vêtements / il ne joue que quelques - airs - toujours les mêmes est ce qu’il se les est enlevées lui-même - les étiquettes ? / un bout du Lac des Cygnes, un morceau de - Lennon - ça sent les algues la - Tamise / Anyone who has information about The - Piano Man - is urged to call the National Missing Persons Helpline on 0500 700- 700 /

National Missing Persons Helpline All calls are confidential

j'ai peur de l'été

Ce matin je ne sais pas si ils sont arrivés à Paris par charters entiers mais il y ce petit gros portugais en polo rayé qui enlève son walkman sur un banc près de sa mère, et ce yankee rouquin en short débarqué de sa côte Est et déjà à moitié nu près de la fontaine. C’est la première fois que j’ai peur de l’été et pourtant on dirait bien que c’est l’été qui arrive quand même et j’ai peur, peur des coups de soleil que prennent les autres, peur de la poussière aux chaussures des touristes dans les parcs, peur de toutes ces voitures sur la route des vacances, de partir ou de rester et de ne plus savoir quoi lire, peur de n’être pas Blaise Cendrars et des insectes écrasés sous mes pieds, peur de ne pas prendre l’avion et de l’odeur de l’herbe coupée, peurs des garçons en maillot à la piscine et des pics de pollution, en ville : j’ai peur que tout cela finisse un jour et qu’on ne m’accroche plus jamais de fleurs dans les poils, en promenade.

ce n'est pas la neige

Toujours ces symptômes qui m’éreintent, et puis la maison, où il y a plus de dentifrice de trois jours, les clopes et leur goût de pièces jaunes et on a plus de chocolat, le soir. A la télévision, je n’arrive à voir que des films que j’ai déjà vus, ceux que je n’ai pas vus me passent devant les yeux comme des images dont je ne comprends pas le sens, et ce pourrait aussi bien être de la neige, partout, sur l’écran. Alors, le soir, on revoit "Les Diaboliques" de Clouzot, cette histoire de revenants dont aucun ne revient vraiment, les morts comme les vivants tournent autour de cette piscine qu’on vidange, dans un improbable pensionnat de banlieue. Là ce n’est pas la neige, c’est la peur et la boue, on s’enfonce dans le canapé, on a laissé les lumières allumées, la nuit.

24 mai 2005

quelles infirmières bulgares ?

Il entre par effraction dans un appartement d’Oslo… et le met en vente (16h30) - L’avocat français des infirmières bulgares "très inquiet" pour ses clientes (18h17) - La population de phoques du Groenland reste stable, selon Ottawa (18h23) - Deux fans de Star Wars grièvement brûlés en fabriquant des sabres lasers (19h53) - Sylvester Stallone va produire un film sur Edgar Poe (20h05) ... Déjà qu'avec tout ça je vais encore faire des rêves bizarres là je dis minute attendez mais quelles infirmières bulgares ?

23 mai 2005

hippo blues

“All over Battersea, Some hope and some despair”

Journée imbibée de la bière de la veille à danser toute la journée, à chanter à tue-tête heureux comme un crétin en passant l'aspirateur et en mangeant des carottes, et ce soir, sans prévenir, internet souffle le froid en seulement quelques mots gelés, jetés de loin en pauvres rafales fatiguées, une gifle endormie indifférente et molle, glacée. Je vois pas bien ce qui peut me réchauffer là tout de suite : j’ai essayé toute la soirée de faire tourner sur iTunes une playlist de souvenirs encore bien crus, comme pour voir si le mix donne – c’est ça vas y fais-toi mal- complaintes chaudes, romances à deux balles et bouts de viande à l’étal.

Et ce soir le mix, impuissant à panser quoique ce soit, appelant encore et encore le refuge d’une épaule, ce soir le mix donne quelque chose comme : automne romain de rescapés des seventies / jérémiades de choeurs dégoulinants / « lalalala » comme sortis d’un vieux 45 tours des Jam / réverb de Gibson et voix tueuse d’une amérique verte et paumée / riffs qui tournent ronds et fiers plaqués sur une chanson de Joe Dassin / fish and chips dans un mouchoir de soie / les poupées d’Hans Bellmer qui se mettent à chanter/ Nina Simone revenue d’outre-tombe jusque dans la chambre d’un petit garçon terrorisé.

Je le remets dans l’ordre chronologique des sorties et je le mets bien en vue :

1973 Lucio Battisti : “La collina dei ciliegi”
1976 Lucio Battisti : “Dove arriva quel cespuglio”
1991 Bill Pritchard : “Anglesey”
1992 Morrissey : “You’re the one for me, fatty”
1994 Erasure : “I love Saturday”
1994 Erasure : “Blues Away”
1995 Aimée Mann : “No choice in the matter”
1997 Morrissey : “Roy’s keen”
1997 Miossec : “Salut les amoureux”
1998 David Gray : “Sail away”
2004 Antony and the Johnsons : “The lake”
2005 Antony and the Johnsons : “Hope there’s someone”
(live) Antony and the Johnsons : “Be my husband”
2004 Dresden Dolls : “Good day”
(live) Dresden Dolls : “Coin Operated Boy”

( Je pense à Tondelli qui repose dans un cimetière à Canolo. Tondelli, s’il avait pu, aurait inventé le blog comme personne, il est mort il y a quatorze ans. Tondelli avait réinventé la play-list, ces livres sont une play-list qui traverse toute les années 80 comme un filet tendu d’une rive à l’autre de nous. « L’abandon » et « Un week-end postmoderne », ses deux derniers livres, ceux qui nous ressemblent le plus à tous – prince du shaker, il avait tout compris de nos morceaux de vie en kaléidoscopes déboussolés - n’ont toujours pas été traduits ici. Ce jeudi à Florence auront lieu des rencontres « Tondelli et la musique », je pourrais vraiment pas y aller, alors si jamais vous y avez été je vous détesterai pas si vous me racontez.)

(Du coup je pense aussi à mes morts à moi et à l’hippopotame du zoo de Barcelone, celui qui avait froid et à qui on avait eu envie L. et moi de laisser une écharpe.)

22 mai 2005

Tant d'hommes (et quelques femmes au fond de moi)

Hier soirée Hotbears à Lamarck. Et en fait pas tant d’hommes que ça. Et d’ailleurs très peu de tout, très peu de musique, très peu de parkas d’éboueurs, Ground zero de la soirée pédé, fête de patronage passablement velue, touchant au sublime dans son caractère involontairement conceptuel et innocemment grotesque. Un truc énorme, situationniste et poilu. Dans un coin il y a même un stand ou un mec vend des accessoires en cuirs, ça fait stand de gitans sur une plage de la Costa Blanca. Mais surtout au beau milieu de tout ce truc vu encore nulle part, il y a un palmier ELECTRIQUE.



N. et moi passons une soirée géniale, surtout quand on a plus un rond et qu’on se met à ramasser des pièces de dix centimes trouvées par terre sur le dancefloor comme deux pauvresses et que déjà bien cuits on essaie de se faire payer des bières par qui voudra bien. S. au bar s’amuse à oublier mon prénom, « salut Thierry », mais moi franchement, pour une bière je m’appelle comme vous voulez, et ce soir, pour une bière, je suis même prêt à m’appeler Thierry. On a bu plein, très vite on sait plus trop qui nous a payé quoi, mais on se rappelle très bien qui ne nous a rien payé encore : le belge inconnu zéro bière, la modern baleine zéro bière. On dirait que la modern baleine a peur de moi, dès que j’entre dans une salle elle en sort, mais moi je la regarde et elle me touche, je l’aime bien, il parait qu’elle est très moche, c’est ce que dit N. et je le crois volontiers, mais depuis quand ça m’empêcherait de vouloir lui rouler des pelles. Mais ça finit par être la fin, ils ont même éteint le palmier et les gitans ont fermé boutique. Pas de pelles donc ce soir, mais je rentre avec N. par la rue Caulaincourt et le jour se lève, il y a une lumière à pleurer, je marche avec N. main dans la main comme il y a tant d’années, déjà qu’on marche pas bien droit et qu’on s’arrête tous les trois mètres pour faire des photos sous-exposées du matin sur les maisons et les échafaudages, on voit le pont du cimetière au bout : N. continue par la place de Clichy et moi je tourne à gauche. Je rentre chez moi. Je sais que je vais me faire des pâtes au thon.

21 mai 2005

fiumi azzuri e colline e praterie...

Longtemps que Battisti et Mina ne tournent plus sur l’autoradio. Les jours bégayent, tout se bloque à nouveau. Ce matin, je me sens coincé ici. Envie des plaines embuées et des autoroutes d’Italie. Je voudrais pouvoir écrire comme quand mon père était encore là : comme continuer chaque jour de vivre à Florence, refaire en rêve le tour du jardin archéologique de Volterra, ou retraverser les villes du Pô. Un des derniers voyages avec lui : depuis une chambre d’hôtel standardisée, voir de vieux pigeons qui s’envolent au dessus du Santo. Même les poils de ma barbe sont en train de virer au blanc. Tout s’efface.
Je ne réalise même pas qu’Anna et Marcello sont eux aussi devenus vieux, et qu’ils ont sans doute oublié cette fin de nuit d’il y a douze ans passée dans la voiture à leur apprendre, parce que l’auto-radio ne marchait plus, à chanter à tue-tête « et quand j’ bande plus, ma bite touche mon cul, et quand j’bande mou, ma bite touche mes genoux ».

20 mai 2005

je hais les sms

Ce matin, on est réveillé presque avant l'aube par la sonnerie du téléphone fixe. C. a la gueule dans le cul comme jamais. On s'est couché à trois heures du matin nerveux, épuisés et amers. Au téléphone, c'est la voix enregistrée de l' opératrice de SFR je crois, ou de Bouygues Télécom, qui transmet d'un ton monocorde le SMS que R. a laissé hier soir. Je préfère la voix de R. je dois dire. Mais au réveil, en fait, je préfère encore pas de voix du tout. A quoi ça sert d'envoyer un SMS si c'est pour faire sonner quand même le téléphone ? Et puis sur mon portable ensuite, anonyme, un texto de la veille non signé, et qui dit "missing you". Je retrouve ma bonne humeur en même temps que je crois avoir décroché un nouvel admirateur inconnu. Mais vérification faite dans mon calepin, ce n'est pas ça du tout, juste un gentil message de P. qui n'est même pas pédé mais peut-être juste un peu déprimé. Et puis le téléphone fixe sonne à nouveau, c'est encore la dame enregistrée de tout à l'heure qui rappelle pour répéter son message, je lui dis mais écoute chérie tu m'as déjà appelé à l'instant mais elle ne m'entend pas, à l'heure qu'il est la pauvre elle doit être aussi au radar que nous. J'ai envie de retourner me coucher, ce vendredi commence pire que les autres. Mais je n'arrive pas à me rendormir : ce matin tôt, c'est déjà comme s'il allait faire très chaud.
Cet après midi, sur la ligne 47, au moment ou on arrive à Strasbourg-Saint Denis, la dame cachée dans le moteur articule consciencieusement "Les Gobelins" pour prévenir les voyageurs. Et puis bien sûr quand on arrive à Gare de l'Est, elle elle est déjà "Place d'Italie", bien qu'elle ait l'air d'être dans le même bus que nous. Je me dis que c'est peut-être la même qui nous a réveillé deux fois ce matin aux aurores. Je la comprends, moi aussi je suis fatigué.

parka d'éboueur

Il n'y a toujours eu que deux sortes de garçons qui me plaisent, ceux qu'on a envie de voir porter le genre de manteaux que N. appelle "une parka d'éboueur", et ceux qu'on peut emmener au jardin botanique. Mais la RATP est une conne, la RATP ne fait jamais rien pour nous aider. Ils ont décidé, ou en tout cas ça y ressemble, de jamais mettre les mêmes conducteurs dans le même bus à la même heure. Je devrais peut-être en profiter pour appeler mon frère à Londres, il bosse dans les calculs de probabilité. Aucune chance que je rachète jamais un autre ticket à la parka d'éboueur qui conduisait la ligne 20 hier après midi ? Il y a des jours, rien que prendre le bus pour rentrer chez soi et il y aurait de quoi donner du travail pour un an au moindre bookmaker entre Ladbroke Grove et Clapham Common...

19 mai 2005

dîner de pâtes mortes

Dîner chez R. Pendant que sous le regard du gros crapaud de bronze Judith et moi attaquons les artichauts brulés au four, R. est reparti en cuisine tenter de ressusciter un plat de pâtes mortes. Il revient dépité et se met à nous raconter des souvenirs anodins, consolation sur la mort des spaghetti. Au détour d'une phrase, voilà que ce malheureux dit "à Es Vedra" en passant, comme si de rien n'était, comme si on pouvait ne pas se signer en prononçant ces mots, comme s'il disait "au coin de la rue Damrémont". Plus tard, quand les poissons ont éteint la lumière de leur aquarium, R. joue une toccata de Bach sur son orgue trente pédales (oui oui, trente!) à en réveiller les voisins. Je demande à écouter le jeu d'orgue intitulé "voix humaine" puis celui qu'on appelle "voix céleste", mais, en fait, je suis déçu, c'est juste de la flûte et du flutiau, pédales ou pas. R. a un robot qui fait le ménage chez lui au rez de chaussée, mais il ne lui a pas encore appris à monter l'escalier pour nettoyer le premier, R. a une mare devant chez lui où il élève un poisson, R. a un vinaigrier et il fait la vinaigrette à la moutarde violette de Brive. Maintenant je rentre. Demain matin, nouveau rendez-vous à l'hôpital.

18 mai 2005

des couvertures sur la neige

Névé du Gurschen, en Suisse, maintenant on met des couvertures sur la neige : ils ont recouvert le glacier d’un grand drap blanc isotherme, la neige disparaît sous un linceul synthétique. Envelopper les enfants dans des couvertures pour ne pas qu’ils prennent froid, mettre des couvertures aux glaciers qu’on a trop réchauffés. On est arrivé à un point de surréel qui touche à la poésie la plus élémentaire. Les japonais ont pigé depuis longtemps la poésie du geste : ils veulent d’ores et déjà venir voir ça par cars entiers. Notre situation post moderne : skier dans l’absurde.

perdu comme un cimetière de campagne

Au milieu des arbres, ce film là fait durer le songe d’un cinéma taiseux comme on boude, joueur comme l’enfance dans la forêt, habité comme la maison de l’ogre, fou comme un chiot apeuré, solitaire comme une cabane dans les bois, tendre comme un frère avec une sœur. Voir ce film pour chaque instant : pour les scènes de mime, pour un frère à genoux, pour une part de tarte avalée d’un seul trait, pour se faire tirer les cheveux, pour tout savoir sur les dromadaires.
www.lesyeuxclairs-lefilm.com

17 mai 2005

pigeons au tabasco

ce truc que j'avais lu dans le journal : les hollandais veulent sulfater leurs récoltes au Tabasco, pour les protéger des corneilles, des lapins et des pigeons. Ce qu'ils ne disaient pas , c'est si ça tombe directement dans l'assiette.

banquet de mendiants

Irving Rosenthal. Lamentos de rubis, perles de sperme et de sang, plaintes d'airain. Qui écrit comme eux aujourd'hui, pédés pauvres ou morts, pouilleux, vieillis, étincelants ? Encore à quatre pattes après leur mort, à ramasser les pages dactylographiées de Burroughs jetées sur le sol de sa chambre ? Comme Ginsberg, épuisé, hagard, quémandant toujours, qui chevrote une comptine de William Blake dans l'auditorium d'un grand musée froid ? Leurs textes, ce qui scintille encore d'un banquet de mendiants : "Et que dirais-tu si ma main transperçait ce cahier, traversant temps, espace et procédé pour émerger de cette page et te caressser la bite ? Tu bandes, avoue-le. Moi aussi. Tu veux toucher ? Est-ce que tu aimes assez ce livre pour l'appuyer contre ta bite ou ton sein ? Embrasse-moi." Irving Rosenthal. Sheeper.

impatiences

Cette nuit, avant le sommeil, une envie violente de pain chaud qui me tenaille l'estomac. Les boulangers dorment tous à cette heure là et de toute façon, je ne peux pas aller à la boulangerie en pyjama. Ce matin, mes yeux flous, qui me font encore plus mal que d'habitude. Je n'arrive plus très bien à lire de près. Il fait gris dehors, tout se brouille.

asymétrie des organes auditifs

Je vais me coucher. J'étais en train de penser à cet article sur une étude américaine : asymétrie et spécialisation des organes auditifs. Ils ont fait des tests sur des bébés et voilà : à l'oreille droite le langage, à l'oreille gauche la musique. C'est trop beau, seul un peintre pouvait savoir ça : le son stéréo, ça ne sert à rien. Allez vous faire foutre avec votre son surround, vos dolby, vos THX. Faites couler la musique à mon oreille gauche. Laissez les mots tomber lentement, un à un, dans mon oreille droite. Si vous voulez vous en couper une, demandez-vous si vous avez choisi la bonne, et gardez votre oreille préférée.

16 mai 2005

poésie de l'ammoniac gazeux

Le lisier des cochons dégage de l’ammoniac gazeux, principal responsable des pluies acides. Surfertilisation des cours d'eaux, splendeur des excréments, poésie des élevages porcins : pluie d'ammoniac gazeux, huit millions de cochons bretons.

en rêve

En rêve, l'autre soir, j'ai revu cette émission à la télévision. Le rayon poissonnerie du magasin Carrefour à Shangaï : des dizaines de chinois déchaînés agitant leurs épuisettes autour d’énormes aquariums. A Noël, les polonais font pareil avec les carpes. Ils vont les pêcher à l'hypermarché du coin et ils leur font gentiment attendre le soir du réveillon dans la baignoire. Dans le rêve, chinois et polonais se mélangent.

jours de pluie et de bananes

Dimanche de pluie, de bananes, de cinéma, de fast-food chinois, et encore de pluie. Lundi de livres, de miel et de fatigue.