20 juillet 2005

Dong Dong (2)

Week-end en apesanteur lourde. Oublier tout, le temps d’un pique-nique de débardeurs et de paillettes, au bord de l’eau, ou de mots échangés au dessus des écrevisses d’une paella, de propos qui se bousculent sur nos lèvres brûlées par une eau de vie de figues. Fin de partie : c’est un dimanche soir qu’on s’est séparés avec C., comme avant de retrouver l’école le lundi, ou de repartir avec son sac, vers la caserne, vers le front. A l’appartement, c'est la plongée en apnée, les premières nuits sans C., le seul garçon qui met les pépitos au frigo quand il fait chaud. Au pied de la télé et des étagères la moquette est sale, dans les creux du canapé il y a des miettes de gateaux, partout. On est seuls la radio et moi, une vieille chanson de Nancy Sinatra.

Dong Dong (1)

Etincelles d’un feu d’artifice à couper le souffle, tiré d’un endroit d’où personne ne peut le voir de nulle part, goût du kebab avarié jeté à la poubelle après une demi-bouchée, et cette série télé pleine de cercueils et de croques-morts que je n’avais plus réussi à regarder depuis mon père (parvenir enfin à me souvenir de ce soir là sans changer de chaîne : il appelle, et la télévision qui organise des funérailles de fiction dans le salon pendant qu’il fait son malaise à côté, dans la chambre, six pieds sous terre). Quand le feuilleton est terminé, on éteint les lumières et on va se coucher, abrutis de sommeil, vaincus par le bruit des pétards, pleins de l'odeur des frites. Mais c’est le quatorze juillet, et alors même qu’avec C. tout sombre, après qu’on ait éteint la lumière, voilà qu’arrive la trique des naufragés, dernier rodéo nocturne, un truc de somnambules surdoués, de hardeurs au bois dormant, larmes de plaisir arrachées à nos yeux secs, nos cerveaux arides, nos corps absents. Faire l’amour quand on coule, prendre son temps avant de jouir, le temps de réussir à y croire : faire l’un à l’intérieur de l’autre, bien à fond, le rêve qu’on pourrait tout recommencer.

15 juillet 2005

illuminés (pompiers moches)

Pompiers si moches à la caserne de la rue du Jour qu'on y fait long feu, marche interminable le long des quais de Seine à la recherche d'un bal qui n'existe plus et dont jusqu'à la gloire est éteinte, mais R. voudrait tellement y croire encore qu'on en a presque les pieds en sang, et Jojo qui s'arrête tous les dix mètres pour pisser, à chaque réverbère. On finit par faire la queue devant Sévigné, derrière un cordon, face aux deux plus belles roulottes à pizza jamais vues, au milieu des baraques à frites : illumination de petites ampoules, bouteilles de kro vides, au caniveau. A l'intérieur, au milieu des grands arbres et des tubes de Noir Désir que je ne connais pas, ce gros type au coude relevé en permanence derrière la tête, mon Olympia à moi, dodue et debout : oui vas y caresse-toi les cheveux, encore, jusqu'au bout de la nuit. Il y a aussi deux pédés en micro-chaussettes, Jojo a une touche avec le plus drôle et le plus joli, celui qui vient sous notre nez, faire la danse du ventre, mais Jojo n'a d'yeux que pour la mésange, ma mésange qui a bien vieilli. Les pompiers ici sont tellement plus beaux, on en croirait reconnaître le débardeur beige de ce matin, celui qui lisait Robert Antelme, dans le 75, L'espèce humaine. Et comme disent les Roger, dans la vie, en fait, il y a pompiers et pompiers : l'Italie est trop loin, les vertiges me passent un peu, la 33 export est fraîche, on voudrait rester, ne plus jamais devoir prendre un noctambus.

10 juillet 2005

premières fois

Retour d'alcool pour ces semaines en flammes, heures passées à taper la cloche dans les bars pour un paquet de cigarettes, pour une pizza offerte ou pour ces bières bues jusqu'à s'en retourner l'estomac, le feu qui est partout : images entraperçues de ce ferry bourré de passagers qui brûle au large de Zamboanga dans la mer des Philippines, et au dessus de nous ce ciel si gris qu'on dirait de fumée. Un enchaînement de premières fois miraculées, comme, un après midi au travail, ce garçon à mille kilomètres de toi qui réussit, petits prodiges de la technologie, à éjaculer partout sur l'écran plat de ton ordinateur, ou devant un écran télé à la mezzanine du D., pleurer devant un porno, ces images candides, ces instants qui s'éternisent, d'un enculage si jouissivement régressif qu'on en oublie son verre, sur la table. Autour du D., CJ le roi du perrier-pêche et ses blagues de la savane - combien d'éléphants on met dans une giraffe, je crois-, R. qui raconte son jardin d'orties dans le Bourbonnais, et puis CJ au dessert, il voudrait savoir s'il peut avoir une coupe tri-parfum avec un seul parfum : week end de larmes rentrées, masturbations adolescentes, amertume jusqu'à la lie. Le temps qui s'arrête au Stop Café face à Saint Denys de la Chapelle : dimanche de jeux de plateaux et de taboulé chaud.

08 juillet 2005

schtroumpfs à genoux ( London's calling)

« The ice age is coming, the sun is zooming in … »

Au milieu des carcasses caramel de nos double-decker buses et de nos trains madrilènes, l’Europe bientôt égorgée à genoux sous un tapis de bombes, le métro qui brûle d’Aldgate à King’s Cross, et de notre côté du Channel, toujours ces vieilles populations latines empressées de se rendre, prêtes à tendre gorge, feignant de se faire un abri, un bouclier honteux de leurs superstitions pacifistes, qu’aucun des cauchemars faits dans le siècle n’aura jamais suffi à ébranler. Mon frère au téléphone, descendu ce matin à la station de Liverpool Street une heure avant les bombes, qui n’a rien vu rien entendu des sirènes et des cris, mais quelque chose, dans la voix, de perdu : ses mots qui cherchent à tâtons la sortie, dans le noir.

A la télé, aéroports et gares de France, ces images à en rire d’un pauvre plan vigipirate virant, attention, de l’orange au rouge, quelques types déguisés en policiers, trois petits soldats s’emmerdant sur un quai Gare du Nord, mitraillettes en plastique, berger allemand jouant au caniche, pistolets en chocolat, et tous ces portiques de détection, qui ne sonnent que pour vos pièces jaunes. Je me console en me disant qu’on n’a pas eu les Jeux, que peut-être ça freinera cette folle ambition de notre bon maire, transformer définitivement Paris en village des schtroumpfs, cette vieille tendance tous à Bercy Village et nos enfants à la crèche. Ensuite la nuit est lourde, trop de pâtes au dîner, et ce matin, en passant devant une pharmacie, publicité de cosmétiques pour hommes et mon reflet dans la vitrine, mes vieux cernes et mes rides : des poches, sous les yeux.

04 juillet 2005

A demain sur la lune

Cinéma en plein air malgré le coup de chaud, N. et moi si cons qu’on n’a pas pensé à la bouteille d’eau, mais ravis de s’abreuver aux couleurs pimpantes et fraîches de ce vieux dessin animé, ces couples de jeunes mariés éléphants, de jeunes mariés girafes, chats et vaches, partant à bord d’un astronef poussif pour un Honeymoon to the moon, leur avion chantant qui fait teuf-teuf, arche de Noé improvisée pour épousailles de cartoons. Au retour, une fille bourrée chante le fado direction Porte de la Chapelle, une autre, plus fatiguée encore, dort sur l’épaule de ce long garçon au regard délavé, yeux d’un bleu plus pâle encore que son sweat Umbro. Tout a un air de mariage et de baisers mouillés, ça me fait penser à cette vieille chanson d’Adamo, et moi aussi je voudrais bien y monter sur l’astronef, qu’on me donne un beau costume ou une robe blanche, et faire un tour de claquettes, ou des trucs baveux, entortillés, avec mon cou, comme les girafes qui s’aiment chanter une chanson de noces, m’en aller, partir, loin.

01 juillet 2005

voter Panzani

A la gloire de la sauce tomate, face à la Fnac Saint-Lazare, un type que je connais de vue et qui est loin d'être vilain, transformé en homme-sandwich, sur ses épaules un panneau recto verso "50 bonnes raisons de voter Panzani". Poésie couleur pulpe, rouge aussi, mais tellement plus sexy que les amis de Besancenot distribuant leurs tracts un jour de marché, gavroches au sourire de plastique flottant dans l'eau de baignoire.

counter terroriste

Je poste ces lignes depuis un autre pays, un pays où tout le monde a treize ans et j'ai peur. Cyber-salle de jeux en réseau, rue d'Amsterdam, ils sont quinze dans la salle chacun derrière son superbe écran Daewoo flambant neuf, et d'un bout à l'autre du sous-sol ils se parlent à voix haute sans se regarder, ils disent ok je me mets en counter terroriste, ils disent je t'ai niqué tu peux plus acheter de munitions, ils disent t'entends le bruit qu'ils font tes otages, ils disent hop j'ai tué quelqu'un je sais pas qui mais je l'ai éclaté. Au sniper et à l'arme lourde ils ne laissent derrière eux que terreur et désolation, ruines de mes rêves, démolis au bazooka virtuel, de pédophile inavoué - tendance Les Choristes -, gravats balancés sans égard sur mes fantasmes humides de cour d'école. Un petit tour chez Score Games, comme aujourd'hui, et plus un seul de leurs mollets mutants ne saurait plus m'attendrir, vous en connaissez une meilleure et moins chère vous de politique de prévention de la pédophilie, moi non je crois. Au final, ne surnagent de ce matin que quelques pauvres échos en é d'un jour de fight sans écrans interposés, des trucs pour les grands, du pour de vrai, du sang, de la chique et du mollard enfin : bagarre de chiens rue Damrémont ( hé pauvre conne c'est pas lui qu'a mordu en premier), cris en arabe dans le 31 à la montée ( non mais tu vas pas me prendre la tête avec ta poussette, je l'ai même pas bousculée), et la pluie qui va bientôt tomber.