31 mai 2005

des saucisses crues, crues mais tièdes (Saint Ouen)

Alcool et médicaments psychotropes, les médecins et moi ce samedi soir avons fabriqué un poison connu, mais la vodka n'agit qu'après que j'ai quitté la fête d'anniversaire de Rigoletto, il est presque quatre heures et je pars pour trois heures d'amnésie entre le périphérique et l'avenue de Saint Ouen, un trou béant, un cauchemar stupéfait qui sort de la glue de l'enfance et des alcools forts, tu te retrouves à l'école en haut de pyjama et en pantoufles tu veux crier mais le jour est à peine levé et rien ne sort de ta gorge - parce que le rêve est aussi celui où tu te sens pris au filet et tu appelles mais comme par hasard tu es aphone- tu voudrais te cacher sous un escalier mais tu n'en trouves pas. Quand tu reviens peu à peu à toi tu es en train de marcher encore, c'est l'avenue de Saint Ouen il est sept heures du matin le dimanche et ça fait longtemps que tu ne vas plus à l'école mais tu es sans chaussures sans portefeuille et puis surtout sans pantalon, la terreur te prend à nouveau parce que tu ne sais rien et qu'est ce qu'on a bien pu faire de toi ou peut être qu'est-ce que tu as fait de toi tu ne te souviens tellement de rien tu aurais pu aussi bien violer un nourrisson ou essayer de t'envoler au dessus du périphérique il y avait tellement de lumières et enlever ton pantalon pour pisser sur les voitures en bas, mais d'abord regarde : c'est le matin, tu es en train de marcher en chaussettes et en caleçon, dépêche toi de rentrer chez toi, mais tu n'as plus tes clefs, appelle ton frère avec ton portable - au fait, ton portable, bon ça va, ça on te l'a laissé, d'ailleurs c'est bizarre. Une heure après on te donne des vêtements, on te rassure et voilà un lit dors un peu tout va bien maintenant et puis on est là, mais le jour qui suit les grandes personnes te regardent d'un regard sans yeux, toi tu es un enfant de trois ans toute la journée arrête de sangloter oui tu as reconnu la terreur c'est comme à la maternelle mais tu ne dois plus penser à ça tu sais qu'à ton âge et avec ton hypertension tu ne le supporterais pas ça pourrait te faire mourir de peur, au commissariat pourtant ça les fait rigoler et tu fais semblant de rigoler avec eux mais personne n'y croit. Le dimanche soir tu te remets à peine - et puis tu es aussi tombé cette nuit ou bien est-ce qu'on t'a cogné tu as mal à l'arcade sourcilière - mais le cauchemar continue il est vingt-deux heures on est le trente mai deux mille cinq la France a voté Sarkozy, à la télévision la "gauche du non" parle du "peuple de France " tu as peur et tu voudrais te cacher le visage sous un oreiller ne plus les entendre ne rien voir on se croirait en trente-huit tu te demandes si le président d'Attac est un allien en mission, d'ailleurs à les entendre ils seraient prêts à brûler un parlement, tu essaies de penser à autre chose la recette du gloubiboulga par Casimir que S. t'a envoyé l'autre jour en mp3 - "des saucisses crues, crues mais tièdes, c'est très important"- par exemple mais tu sais que dans tes cauchemars cette nuit tu verras Clémentine Autain partout, Marie-Georges Buffet a l'air ivre morte elle bégaie plus ce soir que toi ce matin et C. assis près de toi qui te protège de ses bras ne sait plus très bien si on doit en rire ou en pleurer par instants on se demanderait même s'il ne faut pas préparer nos bagages. Lundi à la radio combats de rue à Perpignan j'ai tellement mal à la tête - dans le bus 74 un petit bébé pousse des glapissements déchirants ça me met une boule d'angoisse - peut-être que c'est lui que tu as tué samedi soir mais il y avait pas de sang sur ta chemise, ou bien il a regardé les débats à la télévision la veille et il voudrait ne plus être né - puis en rentrant chez nous exactement les mêmes glapissements déchirants je ne comprends pas nous n'avons pourtant pas d'enfants à la maison mais en fait C. dit non regarde c'est la télévision, sur M6 le singe velu de La Guerre des Etoiles, ils s'enfuient lui et la princesse Leia mais la propulsion ne marche plus alors il crie parce qu'il a peur pour son vaisseau.