Réaction locale étendue (Chinkungunya)
Le matin devant mon café, compter sous les doigts les piqûres le long de mon dos, sur mon crâne, mes mollets et jusqu’autour du nombril.
ramasse-feuilles, attrape-miettes, psautier de regrets, livre de louanges.
J’en ai plein l’estomac de ce juillet pluvieux, ma mère me téléphone elle est à la campagne en train de se faire chier, elle me dit personne ne parle ici alors bon qu'est ce que tu veux moi je m'occupe je ramasse des prunes, et moi je l’imagine en train de secouer les pruniers. Je n’ose pas lui dire qu’elle a de la chance, qu’ici il y a même pas de pruniers. Juillet me fait chier, je préférais juin, la chaleur, les chemises trempées, même ma thyroïde épuisée.
Je me souviens de juin, l’après midi de la gay pride, le char des Poppin’ Gays, le sound-system parfait, l’instant idéal, le gouine à cheveux et le bear indé ont des ressorts aux mollets et foutent le feu au char et au cortège exactement comme en short deux grosses lesbiennes punk joueraient au beach-volley de la vodka plein le nez, et moi j’aimerais bien ne pas avoir une entorse à la place des chevilles, et pas non plus du flan vanille là où se trouvait mon ménisque droit.
Mais bon c’est juillet, c’est dimanche et comme d’habitude je ne descends plus de chez moi que pour aller prendre mon café en bas au milieu des pépés, des vieilles iraniennes en bagouzes, des libanaises en colliers. Quand je remonte, Facebook est aussi silencieux qu’un désert où se noyer, la mer est encore loin et j’ai jamais été très doué en société, à la plage au moins on peut se baigner.
Vendredi, au D., il y avait trois brésiliens qui bloquaient l’entrée, ils n’en finissaient pas de papoter et s’entraînaient hardiment aux moulinets bras et poignets, il y avait aussi un crétin qui cherchait partout Quénette, mais il est où Quénette, l'est parti où Quénette, et c'est quand qu'y revient Quénette, mais bon dieu, dites-le-lui, à la fin, qu’il reviendra plus Quénette, et qu’on en finisse une bonne fois pour toutes. J’avais des envies d’île norvégienne entre l’autre qui cherchait Quénette et les trois cariocas qui se la jouaient on est des mûlatresses bien roulées et tant pis si t’as trois bières à la main et que tu veux passer et pis d’abord Quénette et ben c’est nous qui l’avons mangé.
P. aussi a téléphoné, il tourne pour son programme télé, cette fois c’est une histoire de cirque, lui d’habitude les clowns il est terrorisé, je lui dis tu te rends compte c’est des clowns que t’es en train de filmer mais continue comme ça, c’est sûr tu vas y arriver.
J’ai recommencé à travailler, il y a trois mois que je suis burelier, Catherine et Corinne qui font même plus semblant de travailler à côté, et aux toilettes merci de refermer la fenêtre le soir à cause des pigeons sur une pancarte en papier, et depuis mon ventre me fait mal, si mal, tout le temps, j’ai peur, l’estomac, le colon, les examens à la rentrée, mes côtes brisées, parfois j’en ris, parfois j’en arrive même plus à me masturber.
Chaque soir je prie pour être débarrassé de cette odeur tenace de vieille crevette à l’impériale, cette odeur que j’ai dans le nez et dans la bouche et que je traîne sur moi partout, de restau chinois mal digéré, moi qui n’y ai plus mangé depuis trois mois, au chinois, et qui me suit du bureau au bar et du bar au bureau et même jusque chez moi.
Mais même si ici j’ai pas de pruniers à secouer, dans trois semaines je serai chez Terezdina, on ira se baigner à Loto ou à Delfini, se laver dans l’Egée, et puis la douleur, l’odeur et la peur... le meltemi balaiera tout ça, inch’Allah.
De ces cartons entiers de livres qui s'entassent dans ma chambre depuis que je n'habite plus chez moi, quand je les ouvre, les livres me tombent sur la tête. Moi aussi, j'aurais peut-être dû n'emmener avec moi, au lieu de tous ces livres, de ces caisses abîmées, qu'un seul marin tatoué, si j'en avais trouvé, bibliothèque réduite certes mais plus commode à entreposer, lecture insuffisante mais béguin régulier. Sauf que pas d'île déserte, ma chambre quand je m'y allonge c'est pas dans une poussière de sable doré, et personne ne me ramène de poulpe à la main frais pêché. J'y pense parce que sur l'écran de mon PC, M. m' écrit qu'elle en a marre de Londres, qu'elle veut une petite maison, la Sardaigne, la mer et le poulpe grillé. Et quand elle me dit tu vois ? je lui dis non pas très bien, mais je vais me renseigner, parce qu'en fait là pour l'instant, tout ce que je vois c'est les moutons, là sous la table à mes pieds, l'aspirateur pas passé, et puis ici, droit devant, l'écran bleu de mon PC.
Du coup je vais cliquer sans tarder, là haut sur «se déconnecter», car comme c'est bientôt la Pâque, et de juifs et chrétiens Semaine Sainte et Rameaux, le ménage est à faire et la chambre à ranger. - Sens du rythme du petit pianiste, qui la dernière fois m'a dit, tu vois j'héberge une copine, elle est sympa mais pour l'heure, c'est elle qui dort dans la chambre, la chambre de l'ordinateur. Moi ça serait plutôt comme ça : je n'habite pas sous mon toit, l'ordinateur n'en a pas, je le laisse dormir avec moi. Il a beau partager ma chambre, et être sympa aussi je crois, ben c'est pas lui qui y fera, ni le ménage au printemps, ni la pluie ni le beau temps. -
A genoux au milieu des livres qui ont atterri sur le plancher, ranger c'est remettre à leur place tel poète envoyé au bagne, tel cubain poussé à l'eau, et tel autre aux travaux forcés. Et comme on referma la cage, leur remettre le baillon, refermer la caisse en carton, sur Arenas et Piñera ou Cabrera Infante. Tristes tigres, cubains exilés, que j'ai de peine rien qu'à vous ramasser, à épousseter sur les reliures vos beaux prénoms en O tracés, mieux que je ne cirerais mes souliers ! Quand je lis dans les journaux que Jack Lang est allé pour Sarko faire la risette à Castro : vous savoir tellement plus beaux que ces trois tristes veaux.
Dans la rue du Roi de Sicile, le printemps vient de commencer, et quand je le retrouve au Carrefour, Nikos l'insulaire tenace, le crétois déterminé, vient d'acheter un gros pull de laine, pour avoir chaud jusqu'à l'été. Je lui dis mais qu'est ce t'as dans la tête, il dit mais ce que j'ai dans la tête, c'est le goût amer de ma bouche, et la fatigue de mes pieds.
Pour M., qui est de Londres, je ne puis dire tout ce qui d'Albion l'ennuie. Moi d'ici le niveau de l'eau, les banquiers et Parisot, et les gens qui depuis dix jours révèrent en Bashung plus qu'un frère, peut-être même Dieu sur terre ? La Pieuvre, qu'on disait de Sicile, règne au coeur du continent, mais les gens jouent aux opposants quand pendant un mois ils ressassent que le Pape est dégueulasse ou que soudain ils se lèvent, et disent « J'ai lu La Princesse de Clèves » ! Devraient relire Pasolini, devraient rapprendre le Frioulan, parce que je parie que pendant ce temps, leur grand-mère elle est morte aux gens. Sans qu'ils n'élèvent le moindre chant. Et pour leurs voisins de palier, qui depuis sont morts aussi, émirent-ils le moindre cri ? Pour qui n'est que d'à côté, quid des hommages à la télé, quid des lauriers dans Libé ? Où sont les foules au cimetière et qui est là pour l'enterrer, à part un rabbin, un curé ? Quel autre ancien petit métier connait d'un psaume la métrique, sa valeur sur-numérique ou même le poids d'un cantique ? On dirait qu'il fait froid dans nos villes, et même si je comprends M. et son envie d'une île - de se choisir un port lointain, une île où débarquer dans la nuit et se réveiller au matin -, Nikos lui le sait d'instinct qu'un gros pull nous servirait bien, quand le froid et la Pieuvre ensemble auront du continent avalé, avant qu'on ne regoûte au poulpe, de nouveaux et plus grands terrains.
Donnez-moi une île de repos, et loin du froid d'Hokkaido, à moi les pantoufles crétoises, à moi les sandales naxiennes, les falaises de Bonifacio ! A nous les marchés de Palerme, à nous les flûtes de Sardaigne, le phare de Formentera et le rocher d'Es Vedra.
Mais qui peut dire que l'été arrive, quand la Pieuvre encore s'étend ?
Un groupe hôtelier saoudien, projette une presqu'île nouvelle, de luxe coulée dans le béton, de pétrodollars sur les eaux, au Sud de Beyrouth capitale, eaux qu'ils voudraient tropicales, cette résidence artificielle, dessinant, dans la mer vue du ciel, un grand cèdre du Liban.
Foin de béton coulé, foin de cèdre truqué,
Et foin de la presqu'île, une île n'a pas de pont
Elle est barbe de Crétois, elle est collines du Turinois.
Une île, c'est de Paris un œuf à la coque avec P. partagé.
Une île, c'est d'Ivry dix-huit bouteilles de vin entre amis terminées.
Et c'est même, à Saint-Gilles, une île sur le parvis,
que les bras et la nuque d'un vendeur de poulets au marché du dimanche.
Une île une caisse de livres, qu'on rouvre et qu'on essuie
La lumière de la lampe dans le noir de la chambre, une île aussi
Et une île l'exil, la petite maison, le poulpe :
Une île, c'est l'Égée, c'est la mer de Libye,
la Sardaigne natale de mon ami qui rit.
Quand on va au Ciné Beaubourg comme avant, après tellement d'années, c'est pour voir Dominique Blanc, le dernier Bernard et Trividic, ce film bruissant d'insultes qui se figent en larmes gelées sur le tranchant de la jalousie, le couteau qui pénètre d'un coup sec, la lame qui déferle. Cet être littéralement possédé sous nos yeux, transformé, habité soudain d'un vacarme rageur et froid: la Blanc devenue cette femme éructant sans contrôle les mots de son double vengeur, gesticulant sans emprise, mue par les gestes d'une autre, laissant échapper d'elle celle dont elle est s'est changée en pantin, zombie astral lâché dans la nuit, moderne furie arpentant les rues, hantant les centres commerciaux de banlieue ou les trains qui mènent au delà du périph. La Blanc. La Blanc implosant sur l'écran où se réverbèrent la déflagration de nos villes, la désagrégation de nos liens, et ses jurons de femme blessée retentissant dans nos crânes, en écho à nos sociétés pulvérisées, résonance à la progression de nos tumeurs. Puis les lumières se rallument et c'est fini: après le ciné, avec N., on retourne dîner dans la salle vide de ce libanais d'où il y a huit ans, on était sortis pour se quitter pour de bon, se séparer dans la nuit et en pleurer tous deux comme deux cons, devant ce magasin de slips, là-bas, rue aux Ours.
A Bruxelles avec P., avant un dîner de ris de veau dans la rue de Flandre, un film de chevaux et de dindes dans la pampa, de familles dans les dunes faisant des roulades en maillots sur le sable, accompagné live des longs solos stridents d'un jeune alternos argentin chevelu torturant sa guitare miniature, à un point que c'en est dingue comme presque tous les jeunes alternos sont argentins et comme le cinéma expérimental est plein de jeunes chevelus, parfois.
Revu deux trois, l'autre soir, au D., de ces garçons qui il y a des siècles déjà étaient parvenus à me faire tourner Dalida, pour une nuit ou quelques heures à peine. Au D., justement, Big Manu me dit tu trouves pas que le chien de l'américain derrière là c'est vraiment un medley des deux miens, de chiens ? ...et bon moi bof en fait j'en sais rien pour moi ils se ressemblent tous, les chiens, pour moi autant tu les prends les tiens et tu l'essaies ton pot-pourri, et le petit pianiste à chapeau, qu'on a retrouvé par hasard, dit je suis fatigué des lombaires ce soir, il dit putain qu'est-ce que tu veux, hein, y a des gens comme ça qui aiment bien les chiens... Quand on achève la soirée vautrés sur les chaises en terrasse, ça se termine en prise de tête avec l'autre type là, la supra-chausseuse, je ne sais pas pourquoi, il était de mauvaise humeur peut-être ou il a juste envie de faire sa langue de vipère, c'est pas moi qui le lui demanderai.
Hier j'ai diné chez B. et J. Ils font péter le vin et le saucisson pendant qu'ils préparent un wok et remplissent la turbine à glace, B. en a marre de faire les courses et la cuisine, elle dit si seulement je pouvais engager un petit haïtien dans la merde, et qu'il fasse tout ça à ma place. Quand leur fille était encore en Pampers, elle était fascinée par mes deux grosses bagues, à la main droite, elle voulait toujours les attraper, et comme elle est à table avec nous je le lui raconte, oui tu avais six mois un an et et je faisais tourner mes bagues devant tes yeux, et elle trouve ça bizarre. Leur fille a dix-huit ans aujourd'hui, mes amis ont vieilli, je les trouve beaux, ils habitent toujours à Ivry.
A la télé, la semaine dernière, dans un film de Ang Lee, cette chanson revenue d'un film en noir et blanc de 1937, et chantée par Zhou Xuan, dont les paroles sous-titrées anglais fredonnent «Aiya, Aiyo, through hard times our love runs deep... In life, oh, who doesn't treasure their youth ?» Bon, en français ils ont enlevé la belle onomatopée plaintive initiale et simplement traduit «L'affection dans l'adversité est encore plus profonde... oh dans la vie, qui ne chérit pas la jeunesse fugace ? »
Mais moi, Aiya, Aiyo, cette semaine j'ai perdu ma montre, et l'heure ne s'affiche plus sur mon téléphone portable.
Dans les bars, tard, quand la bière coule de trop, on peut nous voir vomir ou pleurer, pisser sur une piste de danse, transpirer d'une sueur faite du houblon et de nos maux mêlés, ravaler ou dégurgiter, quand les verres débordent, la coupe entière de nos années, de nos colères, de nos terreurs ou de nos peines, et en devenir - marionnettes et ventriloques- étrangers à nos gestes, à nos mots, par tout moyen achevant de nous égarer de concert. On peut nous voir, voulant parfois nous atteindre l'un l'autre à tâtons, ou simplement rejoindre l'autre en nous que l'alcool ou la peur a éteint ou rallumé, nous cogner contre des parois invisibles, tomber et nous relever, cherchant séparément mais ensemble le moyen de sortir à nouveaux vivants et en vie de chacune de nos nuits. Ces soirs-là, on peut nous entendre, comme des malades de la Tourette faisant résonner dans le noir les plus curieuses de nos coprolalies, émettre du fond d'une cave ou de derrière une terrasse, les bribes désarticulées du babil schizophrène en feu qui est le sabir de nos deuils, l'interprète de nos pertes et la seule voix de nos regrets.
Mais que plus un ne s'échappe, plus un de perdu, tu sais qu'il nous faut rester : c'est l'aube, le jour arrive et demain on trouvera bien encore une chanson à chanter. Il y AURA une chanson à chanter, et tu aimeras ça. Il y aura des garçons à vélo dans la rue, des gens en bonnets dans l'avenue, des arbres et des voitures en bas de chez toi. Tu iras voir un copain dans ton quartier ou bien on ira au cinéma, on mangera des bonbons, on trouvera. Je sais, la nuit c'est comme ça, il y a trop près de la coupe aux lèvres et du poison à la coupe, mais la nuit est finie maintenant : réveille-toi.
( Pour les sœurs que je n'ai pas mais qui sont si près de moi, et pour les fleurs de tes bras)
« The time has got me in its sway
Though I'd like to ride away
I will wait another day
If you wait another day
I will wait a day »
( Bonnie Prince Billy « Agnes, Queen of Sorrow »)
C'est panne et révolution dans les services publics, et c'est comme si c'était pour fêter ça qu'on va dîner dans ce resto de couscous à la pression où ils font très bien le couscous mais où ils ont jamais appris à servir la pression, que le premier belge qui passe en voudrait pas pour cinq cents, voire même leur jetterait quasi la pinte à la figure, en fait. A l'apéro, S. me sort de sa sacoche des trucs de son boulot, il me montre des maquettes publicitaires pour des paquets de viande Charral, d'un air dégoûté, sous un faux lustre en cristal. Autour il y a des bears assis sous les boiseries et puis des filles à monticules capillaires, aussi. C'est au dessus d'une cave du dixième, et on y descend parce qu'on est là pour le concert de T., pas pour la viande, et pour les filles ben non plus, depuis quand. Il chante pied de micro en avant ses belles chansons d'étoiles mortes et de cannibales en appartement, le clavier assis à côté de lui sous un tableau de Betty Boop Superstar accroché tellement de travers qu'on y croirait punk grave, avec les lettres qui clignotent plus qu'à moitié, et nous en bas on applaudit, pendant qu'à l'étage près du lustre les patrons du rade boulottent leur méchoui pénards, sans harissa on dirait mais avec TF1 bien sûr, parce que c'est la grève et que TF1 a du resté allumé depuis au moins sous Juppé. Après le concert c'est la quête dans un bonnet, à table T. est accompagné d'une fille que je sais pas c'est qui, alors après qu'elle soit partie, je demande à T. c'est qui cette fille au fait, c'est ton mec ou quoi, mais il me répond que non, c'est sa manageuse. Dommage. Du coup on continue à boire leurs bières sans col pas même mousseuses, et quand c'est l'heure de partir il y en a encore qui veulent aller se faire ailleurs quelques rhums arrangés, mais moi je suis déjà bien assez arrangé comme çà et je veux rentrer, le froid dans la rue de Hauteville me fait monter les larmes, S. croit que je pleure et voudrait me consoler. Une fois chez moi c'est reparti pour une nuit de palpitations, de tête lourde et d'insomnie, je ne dors pas et je peux quand même pas reprendre encore du xanax rose, et puis ce dont j'aurais eu besoin pour pouvoir enfin sombrer, c'est ne plus avoir peur de refaire le cauchemar de l'autre nuit - celui dans lequel mon oncle mort bouchait les chiottes de sa diarrhée, une diarrhée monumentale et ça m'avait terrorisé -, ou bien de fleurs et de baisers.
Il faut que je téléphone à Caroline : son fils - qui est en CM1 ou est ce que CM2 - est déjà tellement beau, qu'il faut que je lui dise, à cette vieille copine pas revue depuis tant - jusqu'à l'autre soir où on a dîné de figatelles- que quand il sera en classe de seconde, ou de première peut-être, il faudra absolument que j'arrête d'aller dîner chez elle, qu'il sera devenu légal, et un peu trop comestible, surtout.
Que Dieu nous préserve de la tentation, des rhums trop arrangés, et des cauchemars où on voit des morts, Que Dieu continue de nous donner chaque jour des figatelles et des lentilles, Amen.
Retour de Chocopolis, la tête pleine d'images échappées d'un lecteur DVD et d'un robot mixeur Philips acheté sous la neige et le verglas : Nino Castelnuovo faisant ses adieux sur un quai de gare normand, Donovan et sa flûte marchant devant les rats, et surtout la cuisine de P. repeinte à coup d'un litre et demi de soupe éjaculée d'un blender qui explose, jaillissant, enthousiaste, petit geyser électroménager de fenouil au vermouth. C'est qu'une année nouvelle ça s'arrose tout janvier, alors un jeudi soir on se dit tiens c'est vrai après tout, puisqu'on est invités, un beau film en noir et blanc sur la solitude et le suicide, quoi de mieux pour commencer l'année, mais après la projo, au Flagey, il y a quand même du vin blanc pour tout le monde et des crackers au gouda, faut pas déconner, le suicide c'est bien mais les crackers au gouda c'est mieux encore, pis c'est Chocopolis et il fait froid dehors. La femme de ménage s'est cassé le pied et ne vient plus à l'appartement, dans les rues les trams sont sales et les Thalys en retard, mais en 2009 je suis passé des Xanax blancs au Xanax roses, c'est comme le passage à la couleur, et puisque Dieu est grand même quand il y a plus rien à la télé, on trouve encore de la Duvel au Belgica, et des amis qui répondent au téléphone quand on veut aller partager un couscous. Passés l'épiphanie, la galette et les couronnes, il y a pas que le sapin qui ait la gueule de bois, P. est roi et je suis reine, et je suis pas sûr que ça me change vraiment.
Nous étions trois : un breton, un sémite et un luxembourgeois, et c’était une belle nuit au bar de
Prendre le tram de la côte jusqu’à Ostende, rejointe au lendemain d’une grande tempête en mer du Nord, pour des soirées trop arrosées, cet ancien bar à marins,
Quand je rentre en France, je voudrais qu'on me bande les yeux, ne plus voir le sourire de ces journalistes et présentateurs de journaux télévisés qui affichent chaque jour plus crânement leur soumission aux puissants, leur collusion avec les forces établies d’un nouveau régime poujado-bananier en talonnettes qui s’est installé chez nous comme dans du beurre, et bien à fond. J’ai du dormir trop longtemps, et quand mes yeux se rouvrent, ce que je vois, c’est un pays tout entier qui hue ses grévistes, laisse ses CRS débarrasser les universités occupées, la dictature molle d’une opinion décérébrée et consentante, et un silence assourdissant. Partout, le froid.
L’automne, le vrai, le soleil gelé, les marrons chauds, le froid place de la Sorbonne, un chocolat chaud un samedi après-midi avec N. et ces portraits de laids et de fous, ces tableaux juifs russes de lapins morts comme sur la glace et de volailles écorchées pendues sur des murs de briques rouges sang, et puis dans la rue les garçons qui ont ressorti leurs parkas d’éboueurs et mettent leurs bonnets en crochet pour aller acheter leur papier à rouler rizla et leurs paquets d’Amsterdamer. Rue de Rivoli
Là bas la Californie en flammes, ici la température qui baisse, loin sur son île cette femme corse qui se bat seule contre le labo qui continue d’abreuver le marché de l’anti-psychotique qui l’a rendue obèse. Au même moment ce salaud d’Attali et sa commission proposant sans rire d’effacer de la Constitution, comme en toutes choses, le principe de précaution, libérer l’industrie paraît-il, mieux nous livrer crus au monstre oui, afin que nous nous laissions dévorer sans cris. Cette nuit je rentre et m’endors pour la nuit sur le canapé, la télé allumée, que je retrouve au matin, et mes maux de tête : l’autre soir encore je me suis fait une cicatrice, au vernissage de Pierre, le béton d’une mezzanine, de plein fouet, sur le front.
C’est Nuit Blanche, ce soir, mais moi la mienne je l’avais déjà trop fait la veille, c’est qu’à quatre heures du matin au D. il y en avaient tellement pour parler de ballons d’eau chaude, d’infiltrations d’eau et de prix des terrains que c’en était vraiment plus possible, que j’ai du m’en rajouter une de bière, puis une autre, qu’au bar j’avais des fourmis dans les pieds et que j’aimais tellement bien parler avec ce petit costumier breton qui m’a déchaussé pour me frotter de glaçons, entre le talon et le gros orteil, pour me les faire passer, mes fourmis j’entends, puis il m’a refait mes lacets et moi j’étais Peau d’âne ou Cendrillon.
Ce samedi quand même, malgré mon foie mourrant, spectacle de feu aux Tuileries avec le fleuri qui prend des photos des braseros, et dans la grande allée, tout du long, ces grosses boules de feu dans des pots de terre, ça s’appelle, c’est ce qu’ils marquent dans le journal, les « boules à Lorenzo ». On traîne de feu en feu entre les machineries de flammes et de braise sans trouver Lorenzo, c’est pas faute de le vouloir mais tant pis, ça sera pour un autre soir peut être, par une nuit plus obscure et dans les bosquets. Alors, au milieu de la foule, on fait notre chemin entre les flammèches et les escarbilles, et c’est pas que je sois rassuré, c’est mon blouson en nylon, la peur de me retrouver en moins de deux torche vivante involontaire, improvisé bonze birman. Apres nos nouilles porc-calamars, on redescend
Après ce film de vaches et d’amnésie, de baisses de vision et d’ânes dans un brouillard épais, j’emmène le garçon fleuri qui veut boire son lait fraise face à Notre Dame, puis à son tour il me traîne derrière lui de par les rues du marais, jusqu’à cette librairie pédé autrefois si belle, et qui ressemble plus à grand-chose aujourd’hui. Au sous sol pourtant, cette exposition de trans-boys magnifiques, ces beaux visages de garçons des rues, exhibant sur leurs corps réinventés les signes encore indécis d’une masculinité nouvelle, comme une adolescence retrouvée, faux pénis et poils qui poussent, insolence et gravité, cicatrices et coutures, sous les seins. Boire encore trop de bières, et une fois rentré chez moi ne trouver qu’un seul message sur ma boîte hotmail, Bouygues Télécom, et pour la troisième semaine de suite, c’est dans mon courrier qu’arrive la newsletter hebdomadaire à laquelle semble s’être abonnée Madame Marie-José Cambon. Un jour, il faudra que je leur téléphone, à Bouygues Télécom, pour leur dire vous savez, c’est pas que ça me dérange, mais je m’appelle toujours pas Marie-José, et Mme Cambon, en fait, c’est pas moi.
Au réveil, soudain Paris s’est rempli de kilts. Paris envahi de jeunes écossais jambes et mollets poilus dans leurs kilts flambant neufs, venus supporter leurs joueurs, moi couvert de bleus et de bandages, je me sens pour un jour un de leurs héros, moi qui pourtant ne sais rien du rugby, et ne veux surtout rien en savoir, moi qui suis juste tombé d’un escabeau, en redescendant d’un toit, par une trappe fenêtre. C’est que ce n’était pas le mien de quarantième anniversaire, chez Doumé, l’autre nuit, rue Beaurepaire, tout près de là ou
« Je lève mes yeux vers les montagnes … D’où me viendra le secours ? » Psaume 121, Chir Hama’alot, Cantique des Degrés.
Quelques jours après, je suis aux fêtes belges de Lokeren près de