28 août 2007

knock knock knockin’

« Je lève mes yeux vers les montagnes … D’où me viendra le secours ? » Psaume 121, Chir Hama’alot, Cantique des Degrés.

C’est longtemps après l’extinction des feux, quand je suis censé dormir mais que mon corps ne cède pas, quand la fatigue est trop grande, que le cerveau épuisé s’agite, je rallume et je prends une revue, littérature porno-pédé branchée pleine de garçons en slips de marque, cette poésie chic et crue qui se croit d’aujourd’hui, ce hard d’avant-garde à trois francs qui me plait tant pour un instant, pour ses bouquets étincelants d’artifices moites et de queues épaisses, images et textes sur lesquelles essayer de me masturber comme autrefois, pour la promesse d’entrevoir en songe le paradis d’Allah, ses soixante dix vierges bien montées très bon marché, ses rivières de lait de miel et de sperme j’espère, mais ça prend très longtemps à venir, mes circuits électrisés par le manque de psychotropes sur ordonnance, ceux que je n’ai pas pu prendre hier pour avoir trop bu, je bande à peine, trop de tension en moi, les neurones bloquées je jouis sans même l’avoir eue dure une fois, d’une décharge tardive, courte et sans fierté, qui ne me fait gémir qu’à peine, d’une de ces vidanges impuissantes à m’apporter le sommeil, celui que je demandais et que j’attend.

Le jour où je suis rentré de Crète, mon oncle est mort, de cette mort due aux soins attentifs du personnel de nos grands services hospitaliers dévastés par le fléau de leur propre incurie, mort dans un de ces lieux ravagés d’idiotie, des suites d'une station prolongée dans le grand bain de l'Assistance Publique où l'indifférence s’est depuis longtemps hissée au premier rang, mais vraiment au tout premier, des infections nosocomiales. Quinze jours avant de partir, moi j’avais été à Lariboisière lui apporter des pantoufles, pour ses pieds, parce qu’ils avaient gonflé, et celles-là enfin il avait pu les mettre, il était content. Je me demande pourquoi on nous montre si souvent le délabrement des hôpitaux de Gaza à la télé, moi ce jour là, je n’avais pas vu la différence entre Bagdad, les territoires autonomes et à Paris la diabétologie, et pourtant j’avais bien cherché, même les couloirs et les murs c’était pareil, les mêmes savates en plastique aux pieds des infirmières, c’est bien la peine qu’ils aillent aussi loin pour tourner, la gare du Nord, il me semble, c’est quand même plus près. Pendant son séjour dans le cadre idyllique de ce service renommé, on avait gentiment laissé la gangrène continuer de s’installer, les artères achever de se boucher, et puis un jour on l’avait laissé tranquillement repartir chez lui sans son dossier - mais il était trop désagréable avec les infirmières de toute façon, il paraît, et c’est çà surtout ce qu’ils y avaient marqué : le patient est caractériel (lire : il nous fait bien chier) -. Puis il avait du retourner en urgence à Bichat, moi j’étais encore à la mer, et il y était depuis trois jours quand il est mort ce vendredi là où je suis rentré. A Bichat, son dossier, par fax depuis Lariboisière, venait juste d’arriver.

On l’a enterré le jeudi 3 août, il y avait un grand soleil. Le pasteur a lu l’ouverture de l’Evangile de Jean, en pleine lumière, dans ce cimetière de fin fond de banlieue, entre les rues de la Paix et de l’Egalité, ma mère assistait à l’enterrement de son petit frère. Il a été enterré dans la concession ou l’avaient étés déjà Marie, Marguerite, Madeleine et Georges. Après qu’on ait jeté chacun une fleur, comme on jette la dernière poignée de terre, les fossoyeurs ont commencé leur travail, je me suis retourné, la lumière scintillait dans la barbe de ce jeune fossoyeur rouquin qui tient la pelle, un visage un corps si beau que je voudrais rester un peu encore, je me retourne encore et encore une fois de loin, il me plait tant, celui qui recouvre ma famille de la terre d’où elle vient.

Quelques jours après, je suis aux fêtes belges de Lokeren près de la rivière Durme, entre les pintes de blonde et les saucisses de cheval, la nuit tombe entre quelques gouttes de pluie, Bryan Ferry est entré sur la grande scène illuminée, un peu plus tard il attaque : « It’s getting dark, too dark to see…Feels like i’m knockin’ … », le concert est magique, Bryan Ferry entre Pat Garrett et Billy the Kid, refrappant à son tour après Dylan aux portes du paradis, refrappant et insistant encore, comme si c’était pour nous, pour P., pour moi, pour tous les belges qui veulent à ce moment là avec nous y entrer.

« Mon âme attend le Seigneur, plus ardemment que les guetteurs le matin, oui, que les guetteurs n’attendent le matin » Psaume 130, Chir Hama’alot, Cantique des Degrés.