07 août 2007

Mer de Lybie

Débarqués en pleine nuit d’un avion improbable, au milieu des cars des tours operators qui attendent moteurs qui tournent devant l’aéroport d’Heraklion, pots d’échappement et fumées de souvlaki, nous nous réveillons le lendemain à Aghia Galini, pour un temps réparés de tout souci, défendus de tout nuage, à l’abri de toute pluie, ce havre coincé par la roche qui fut aussi le refuge de Dédale et d’Icare, père et fils dans l’ombre d’une grotte, fabriquant leurs ailes de cire, rêvant et préparant leur envol, au bord du golf de Messara.

Après les premiers coups de soleil viennent les premières bières Mythos dans les verres glacés, l’eau de mer remontant les berges poussiéreuses et fertiles de la Plati, l’église des quatre martyrs, et la nuit tombée sur le port ce si beau concert de folkeux dont les voix en transe s’élèvent au milieu des familles de l’île, des pastèques, et des assiettes de pois chiches séchés. Réservé la veille, c’est, pour une semaine seulement, un voyage last minute comme en tapis volant sur cette chanson de Johnny Nash reprise par Claude François, cette histoire d’arc-en-ciel et de nuages dissipés. D’un jour à l’autre rien n’est grave, juste le miel des montagnes pelées, et le vent chaud qui rend fou, notos ou sirocco, venu par la mer de Libye.

Ici toutes les habitudes se prennent, même la demi-pension à base de vieilles portions de moussakas congelées, de tarama douteux ou de tzatziki rance échangées chaque soir contre un ticket dans la même taverne immonde, ces dîners expédiés avant qu’on puisse enfin se balader, acheter des cigarettes à onze heures du soir, aller d’un raki l’autre, d’un kafénio l’autre, de la terrasse de chez Miros jusqu’à une table chez Poppi’s six mètres plus haut et retour, cherchant la fraîcheur dans nos verres glacés, et, avant la fermeture, le marchand de souvenirs sur son scooter, son oie vivante sur le siège arrière, elle est sa femme et sa muse, la nuit dans sa cabane il la prend c’est sur, par derrière, et avec ses lunettes, sa moustache à ramasser les miettes de féta, il ressemble à Giangiacomo Feltrinelli, qui aurait balancé ses Senior Service pour de vieilles grecques roulées.

Le jour on marche le long des falaises et P. m’encule entre les grands rochers, ou bien on prend le bateau qui nous dépose à Agios Georgios. Là-bas l’eau est encore plus belle, n’y arrivent que quelque fous qui font la route en plein soleil, et dans la baraque sur le chemin qui monte au dessus de la plage, il y a Michaelis, qui doit servir trois cafés par jour, et George, le vieil anglais en slip qui pend, ils discutent à deux mots à l’heure dans un sabir qui n’est qu’à eux, leur conversation interrompue par le bruit irrégulier de leur tape mouches en plastique qui s’écrasent sur les toiles cirées sales, c’est du Beckett d’après insolation, du "En attendant l’ouzo" à l’ombre des bambous, les verres d’eau sont gratis, P. et moi loin de tout ce qui nous englue au Nord, la mer nous attend.