18 novembre 2007

Taverne Pelouse

Prendre le tram de la côte jusqu’à Ostende, rejointe au lendemain d’une grande tempête en mer du Nord, pour des soirées trop arrosées, cet ancien bar à marins, la Taverne Pelouse, peuplée de tronches d’ivrognes, de vieilles dames indignes et d’adolescentes vérolées réunis une fois de plus pour une partie de cartes, une portion de fromage fondu offerte chaque deux verres de bière, ou ces bars pédés sortis des années septante vaguement honteux, cachés intacts derrière leurs portes à sonnette de clubs privés décrépis. A marée basse le lendemain, par grand vent, les belges, s’il en existe encore, ramassent leurs croquettes de crevettes à même la plage, dans le sable. Sur le port, P. mâche un poisson séché comme un vulgaire chewing-gum, jusqu’à ce qu’alléchés les grands oiseaux attaquent, cormorans ou goélands obèses traînant autour des baraques à poisson, et poursuivant P. le terrorisent suffisamment pour qu’il envoie valser son poisson séché à peine entamé, et se sauve en hurlant. Au détour d’une rue plus laide encore que les autres, il y a dans cette ville étrange un fast-food sans relief et sans goût baptisé magiquement le Mystère de la Baraque à frites. De retour à Bruxelles, dans nos sacs les caramels au lait achetés chez la Moeder Babelutte, et après avoir joui ensemble dans une maison encore froide, échanger nos souffles chauds sous les couvertures comme le bœuf et l’âne à l’étable, en immersion s’abîmer dans ce week-end marin de novembre, rire ou boire ou baiser, tant qu’on peut encore, pour un moment arraché aux jours qui passent et nous écartent l’un de l’autre, s’oublier corps contre corps. Surtout nous taire, remettre toujours à plus tard les plaies qui creusent, les rancoeurs qui montent et les mots qui séparent.

Quand je rentre en France, je voudrais qu'on me bande les yeux, ne plus voir le sourire de ces journalistes et présentateurs de journaux télévisés qui affichent chaque jour plus crânement leur soumission aux puissants, leur collusion avec les forces établies d’un nouveau régime poujado-bananier en talonnettes qui s’est installé chez nous comme dans du beurre, et bien à fond. J’ai du dormir trop longtemps, et quand mes yeux se rouvrent, ce que je vois, c’est un pays tout entier qui hue ses grévistes, laisse ses CRS débarrasser les universités occupées, la dictature molle d’une opinion décérébrée et consentante, et un silence assourdissant. Partout, le froid.