05 septembre 2005

Indian Summer (chicons-gratin)

L’insomnie gagne, ces journées entières où rien ne se passe, tout va si vite qu’on en oublie de s’enlever les sparadraps au matin - plus le temps - et quand le soir tombe je télécharge tellement de musique que la police finira bien par venir me chercher, une de ces nuits, et je partirais avec les menottes aux poignets, enfin, et toutes ces télévisions en bas de chez moi, on me jettera un blouson sur le visage pour que je leur échappe, personne ne me reconnaîtra. L’année qui vient de s’écouler a déjà tant de rides, l’été a soufflé dessus comme sur un pot de mégots froids, il y a des cendres partout, autour. J’emmène P. aux Buttes Chaumont, devant tant de grands arbres je me sens toujours bien, on a soif, marée de torses nus sur le vert des pelouses, s’allonger, vouloir dormir, on se dit c’est génial : c’est comme dans Joe Dassin.

P. a passé trois jours chez moi, sa peau blanche, son téton gauche mordu dans le soleil, et ses chicons-gratin. J’ai appris à rouler les chicons, les chicons finalement je me demandais, mais au final ce ne sont que des endives, maintenant je sais lui dire baise-moi dans sa langue (est-ce que ça fait de moi un néerlandophone ?) sa peau, la mienne, tout réveille des échos trop lointains pour que je les entende autrement qu' à peine, alors je tends l’oreille et il dit viens cerise, il met de l’ail dans les langoustines, il m'accompagne voir les poneys au Parc Monceau, quand il me jouit dans le cul il fait une telle tête à chaque fois que je me demande si je dois pas appeler les pompiers, il dit toi reste là et épluche les pommes de terre, je lui dis for you I would cook and sew, et je veux qu’il revienne. Quand il est parti, l’insomnie reprend, les nuits à échanger des fichiers musicaux comme si ma vie en dépendait vraiment, et puis ces cuites monumentales, si grotesques quand S. finit par me pleurer sur l’épaule ce soir où ensuite je me trompe de bus de nuit et que la rue de la Tour d’Auvergne n’en finit jamais, en arrivant Place Blanche je m’achète un camembert chez l’arabe et je le mange en entier, le matin j’ai des remontées acides, la gorge me brûle, l’estomac se retourne, en entier.

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de C., j’en ai marre de tous ces miroirs : en rêve je revois de vieilles photos dont le souvenir continue de me traquer, c’est pas Judy Garland défoncée, c’est ce vieil écrivain italien exilé, converti au bouddhisme, vieux pédé qui a vu le Christ et qui enterre ses chiens dans son jardin à Mexico City, ou bien De Pisis, loin des quais, de tous ces gigolos qui posaient pour lui à Paris, finissant ses jours à soigner ses nerfs, sa mélancolie, en maison de repos, à Villa Fleurie. L’autre soir on a dîné au Motown, Pompelmo, son ami, moi, et le garçon dé-permanent, celui qui est joli, et il y avait cette chanteuse de variétés, qui prend sa pause juste à temps, juste avant que les larmes ne tombent, dans mes pommes sautées.