27 juin 2007

La Pitié

Depuis que je suis seul dans l’appartement, cette semaine, et A. en vacances à Rome, le frigidaire est vide, deux soirs de suite je me pisse entièrement dessus sur un pantalon propre, aux toilettes, et comme moi tous les appareils se dérèglent un à un, la télécommande dans ma chambre, le décodeur au salon, l’ordinateur qui plante chaque soir, la fenêtre qui s’ouvre et se referme toute seule, c’est l’attaque des machines, les esprits qui me parlent, j’ai peur et je voudrais téléphoner, vite, que quelqu’un me rassure enfin, mais il n’y a plus personne sur MSN, seulement cet énorme bruit : un tableau s’est décroché du mur de la cuisine et s’écrase sur la vaisselle alignée, en dessous.

A trois heures du matin j’allume LCI, ce débat de cauchemar sur le taux d’alcoolémie autorisé au volant, ces bonnes âmes, si bien intentionnées, si insolemment répressives, qui se proposent de le réduire à un verre de vin seulement, et je me dis qu’à la vitesse où ça va, bientôt on aura plus le droit de simplement marcher dans la rue à plus de trois verres dans le nez, au cas où on renverserait une voiture, en traversant, qui sait. Quand mes nièces et mon neveu seront à leur tour devenus grands, est ce qu’ils enverront les habitants de ton quartier te fliquer ta proximité jusque dans ton lit, veiller à ce que même là t’aies plus le droit de fumer, pour pas te choper un cancer ? Est-ce qu’ils éliront, pour que surtout tu gardes un cœur sain, des représentants qui voteront des deux mains des lois pour te faire faire de force chaque jour ton gentil petit tour de jogging, avé (bien sûr, attends !) le short et les baskets, nouveaux étendards d’une majorité consentante au pire ? Est-ce qu’on verra s’improviser, à chaque coin de rue, des mini-jeux olympiques de 1936, dans la joie et la bonne humeur ? …. Mais c’est maintenant qu’il est là sous mes yeux tous les jours à s’étendre, ce continent de terreur, où hors de question que tu coûtes un sou à ton voisin, où tout ce qui t’arrive c’est bien parce que t’avais qu’à pas, et pis où tiens oublie pas ton prozac, surtout.

Aujourd’hui pour une fois mon portable a sonné, une infirmière de la Pitié, mais c’était juste pour me prévenir, pour mon rendez vous, hein, ben, mon psy, il sera vraiment trop occupé pour me recevoir, demain. Au dîner chez F., bien avant le vin blanc, Ph. était déjà tout rouge, il voulait juste être bronzé, un problème de réglage dans la machine à U.V sans doute, ça me rappelle ces grands hôpitaux parisiens et d'ailleurs, qui exposent sans honte ni regrets publics leurs patients cancéreux à des radiothérapies défectueuses, comme cet homme dans le journal qui depuis s’en chie et s’en pisse tous les jours dessus, à faire mal. Boulevard de Sébastopol deux heures après minuit la ville était morte, les avenues et le monde autour de moi vides de tout sauf de l’écho de mes pas, si vides, même, que j’ai eu peur de voir surgir, de derrière un arbre, Rachida Dati avec un alcootest et puis ses dents, parce que oui, j’ai bu, et j’aime les garçons.

Je me rappelle quand à la télé tout le monde clopait, quand dans Paris on trouvait encore des taxis la nuit, quand on avait encore le droit d’être malade, de faire du bruit après dix heures, de boire à vomir dans le caniveau, de sécher la piscine. Je me rappelle quand nos vies tout le monde savait bien que c’est compliqué, quand on était tous volontaires pour se prendre la tête, quand personne ne zappait tout comme on passe d’un programme à l’autre, je me rappelle quand tu répondais quand on te parle.