14 juillet 2007

Le Départ

Hier matin, vendredi 13 et jour de chance, j’ai rendez vous avec Mademoiselle Gavarret, ma nouvelle banquière, celle qui veut me mettre à l’index, à la banque de France, celle qui veut ma peau. Ma petite nièce est arrivée en pension chez nous pour trois jours, son poupon rose et chauve, désarticulé à force, qui traîne déjà sur mon lit, et quand à midi elle veut pas finir son jambon purée je luis dis attention, si tu n’es pas sage Rama Yade va venir, ou plutôt, non, tiens, Mademoiselle Gavarret, et je vois bien qu’elle a peur. Mademoiselle Gavarret me reçoit entre deux stages de formation, et Mademoiselle Gavarret, moi en fait, pour la former, ça la changerait de ses bourgeois d’Auteuil, je lui parlerais bien de cette femme qui se chie sous elle dans une salle d’attente bondée à Lariboisière, de cette puanteur, de la flaque brune sur son siège, quand elle se lève, pour sa consultation d’anesthésie, de nous tous qui détournons les yeux, des infirmières et du personnel qui se font et se refont le couloir rien que pour le plaisir d’y faire claquer leurs sabots, sans s’apercevoir de rien, le nez trop pris sans doute, ou trop occupés à micheline t’as vu avec mado si elle a bien téléphoné à patrick rapport à l’imprimante à josy, je te rappelle qu’y a plus d’encre. Mademoiselle Gavarret, la moitié de mon âge en short, derrière son bureau, qui sait si elle est pas pieds nus, là maintenant, en face de moi, je devrais lui raconter cette jeune chinoise qui hurle tous les jours dans l’entrée, au centre médico-psychologique, à la Motte Piquet, si bien que si je veux un jour pouvoir y être reçu à mon tour, j’aurais intérêt à m’entraîner à mieux rouler des yeux, et puis à m’y mettre de suite, au cantonais.

Mais enfin bon, c’est veille de fête nationale, j’ai oublié de jouer à l’euro-millions, alors le soir, ça sera, avec Roger et le garçon fleuri, un vernissage de poupées vaudou, de tatoueurs piercés, et de chiens bassets qui vomissent de la kro mélangée à leur Royal Canin, à l’entrée. Tous ces mots d’initiés d’un vocabulaire exotique et rêveur : l’hafada, le dydoe, l’apadravya et l’ampallang, qu’on doit m’expliquer patiemment en même temps qu’en bon garçon circoncis, j’apprends les bases de l’anatomie génitale des hommes, le frein et la guiche, et que je me demande si moi aussi j’en ai un, de frein, résiduel.
Le bal de la caserne à Sévigné est devenu payant cette année, mais on ne regrettera pas nos six euros tant la merguez est bonne, la météo salvatrice, merci jolis pompiers. Après la fin, quand on est arrivé au fleuve on s’est assis sur le parapet, le temps que Roger digère sa crêpe, que les réverbères s’éteignent, que le Pont Neuf fasse ses ronds dans l’eau, qu’on ait envie d’un petit déjeuner. Au Départ Saint-Michel, il y avait ceux qui se couchaient, ceux qui se levaient, ceux qui en étaient aux croissants et ceux au spaghetti bolo, ceux qui passaient au café, ceux qui repassaient à la bière, le jour qui se levait, l’île de la cité, à une table ces deux brunes en débardeur, jumelles comme deux gouines barcelonaises, l’impression de retrouver Paris.
Aujourd’hui quand je me lève, au bar d’en bas, ce joli garçon brun, au dos de son T.shirt, écrit en belles anglaises, brille le mot latin pour « Miséricorde ».