25 août 2005

éteins la radio

La nuit, dans les vapeurs de mon vin corse, je rêve d’avalanches de sable, je me mords les lèvres en dormant, le matin le sang a séché aux commissures et je le fais tomber du doigt. Il pleut, j’ai les cheveux qui poussent du rosé d’hier, à la radio ils disent la grippe du canard arrive. La Suisse est inondée, le Portugal calciné, mais j’habite un pays où on verbalise aussi ceux qui nourrissent les pigeons : ici c’est un mois de novembre ordinaire, nous sommes fin août, le ciel est d’un beau gris uni, tout est tranquille. Encore une fois j’ai des poches sous les yeux, et je ne sais pas si c’est le rosé ou bien si les crèmes de jeunesse que m’a filé Doumé ont dépassé la date de péremption, il m’a pourtant montré comment les appliquer après le dîner hier, mais c'est vrai qu'en partant il a failli tomber de vélo. Je n’en peux plus de l’été à Paris, ces journées qui se ressemblent, et sur internet tous ces crétins mal éduqués, sur les sites de rencontres bears cette si belle collection de rateaux, que si on me fournissait avec les seaux et les pelles au moins j’aurais l’air moins con, sur la plage. L’après midi au Lux Bar, Denyse avait des théories sur la poitrine des filles, mais c’est normal Denyse a toujours des théories, et puis c’est bientôt la rentrée : il y en a une ou deux qui passent qui sont pourtant loin de ressembler à Lolo Ferrari, mais elle dit tu as vu, je te dis, c’est Supervixens. Moi je n’en sais rien, Supervixens je l’ai pas vu, mais ce que je sais c'est que demain P. arrive, qu'on ira acheter des langoustines, et je voudrais tellement qu’il m’emmène loin d’ici.

22 août 2005

journées mondiales de ma jeunesse

Depuis que C. est parti, j’ai vraiment mon âge, je n’ai plus de corps, et tous ces avions qui s’écrasent chaque jour s’écrasent sur ma jeunesse, mon enfance, les croquettes de riz de ma grand-mère, les vieux Hergé dans les placards, la dernière fois que je vois mon grand père par le pare-brise arrière sur une plage de Normandie, toutes les toilettes où je me suis masturbé en grandissant, les filles à qui je faisais mal en bandant mou … On ne rigole plus, tout ce qui était parti l’est maintenant pour de vrai, mes anciens amants, mes vivants et mes morts. Je n’ai plus de forme, je suis loin, il y a quelqu’un de mon âge en face de moi dans la glace : je le regarde, je n’arrive pas à avoir envie d’apprendre à le reconnaître. Doumé m’a enlevé mes comédons gratis et filé des crèmes pour la peau, je lui paie un coca, je comprends que ça ne me rendra rien. Ce soir un film de Catherine Breillat à la télé et je suis cette anglaise ballottée sur un bateau, son regard sur un corps encore adolescent, sa préférence le temps d’une traversée pour la bouche et les fesses d’un garçon plutôt que pour la laideur des hommes, les fesses de ce jeune type qui la pénètre en jouissant comme pour la première fois. Tous les jours cette semaine, ils font des messes en Martinique et à Notre Dame, mais qui dira cette messe pour tout ce qui a disparu de ma mémoire en un été, ce crash soudain, moi qui n’ai pas pris l’avion, moi qui, exactement comme mon père, en ai toujours eu un peu peur. Il est trois heures du matin, ce matin à Cologne le pape bénissait tous ces garçons en short, ce soir sur la 5 ils rediffusent : Esteban, Zia, Tao, les Cités d’Or.

18 août 2005

Beau comme Fuck

Toi qui reviens d’une année blanche, reprends ton souffle, ne t’agite pas en vain : pause estivale à compter les cigarettes qui te restent dans le paquet, les pas qui te séparent du dehors, les journées d’août qui passent au dessus du mur, une par une comme des îles. Il y a aussi - mais ça prend du temps à compter - les arbres du cimetière d’en face, les seuls qui puissent, en buvant un peu, te tenir lieu de pins maritimes, avec, faute de vents, tes sempiternels morceaux de musique grecque sur ITunes, à faire se lever le Meltemi. Tu as fait la moitié du chemin depuis une bulle épaisse, tu n’es plus séparé du monde que par une pellicule encore, un simple film plastique, du givre en été qui finira par fondre au rythme des bouteilles de rosé. A chaque bout du fil le bruit du tire-bouchon, le soir P. m’appelle de Tielt avec Skype, on boit du vin, sa voix sort encore chaude des baffles de l’ordinateur et se répand dans le salon, j’aime quand il pleure de fatigue mais qu’il reste encore, il n’en peut plus de travail, moi je n’en peux plus de ne rien faire, de regarder la page blanche, sur l’écran. S.3 m’a dit l’autre soir au D. que mon dernier post était à chier et je sais qu’il a raison, pour me consoler ce soir-là il a fini par me donner son badge, c’est un tellement beau slogan pour l’été, c’est un petit badge orange, dessus c’est écrit, un peu gribouillé, ce programme beau à chialer: « Fuck Forever », en deux mots seulement. Et putain que j'aime ça.

12 août 2005

pharmaciens de l'Eden

Il n’y a plus grande différence entre le sommeil et la veille, la télé reste allumée quand je m’endors sur le canapé, je me réveille à l’aube devant des émissions que je ne comprends pas, une jeep dans la savane au matin, ce reportage sur les animaux sauvages qu’on regarde à la lunette dans la lumière aveuglante des plateaux de Namibie, ou l’autre jour ces dessins animés pour enfants de trois ans, je ne sais plus quel âge j’ai, je me lève en cherchant mon cartable, prêt à partir à l’école, lourd encore d’une cuite qui passe mal, mais je ne veux plus de mes corn-flakes, jamais. Ces cuites avec Doumé qui voudrait bien me retirer les comédons, je lui ai montré mon kyste, sur l’épaule, il dit mais c'est un kyste puant, ou ces blagues goys chez Denyse quand elle a bu trop de champagne, ces semaines pâteuses, chaque soir tenaillé par ce besoin de remèdes violents et surs dont je n’ai pas l’ordonnance, boire et boire encore, espérer oublier contre des corps nouveaux, ces morceaux entrevus d’une pharmacie de l’Eden dont je n’ai pas la clef : ce garçon au long torse qui vient chez moi, il est déjà dans mes draps mais il dit non juste dormir - je suis son grand-père ou presque, je soulève juste les draps quand il dort, le voir seulement, regarder encore : être Dalida juste un instant - je me retourne et il me tambourine dans le dos avec ses poings, en dormant, ou bien cet autre qui m’embrasse étrangement l'extrémité du gland avant d’avaler mon sexe dans sa bouche : deux fois il répète cet étrange préliminaire, ce baiser du bout du gland, et je n’ai plus du tout envie de dormir, j’en oublie ma nuit blanche, celles des jours d’avant, ces heures passées à sortir, à tuer le vertige, à conjurer le sort, au fond de mon verre, dans nos doubles bières.